Mieux construire nos bâtiments, nos rues, nos quartiers, nos agglomérations

Il en manque tout court

Par: Christian Savard Adam Mongrain
09 novembre 2022

PORTESCRO

En matière de logements, on entend de la part du milieu privé qu’il manque de logements privés, et de la part du milieu communautaire qu’il manque de logements communautaires. Ce n’est pas un vrai dilemme: tout le monde a raison.

L’espace qu’il nous manque

Ce n’est pas toujours facile de bien concevoir le trou dans lequel nous nous trouvons quant à la quantité disponible d’espaces habitables. C’est une conséquence naturelle de la mécanique d’habiter: pour la plupart d’entre nous, le logement est un enjeu préoccupant mais pas forcément immédiat ou intime. Grosso modo, la majorité des personnes sont déjà logées - comment peut-il manquer 100 000, 200 000, 500 000 portes quand on voit bien que les gens ne sont pas tous sur les bancs de parc?

Cette intuition occulte plusieurs phénomènes conjoints qui découlent tous du manque d’espace. Avant toute chose, l’itinérance visible et invisible est bel et bien en hausse, conséquence directe de la vive compétition qui existe pour des logements pourtant souvent en bien mauvais état. Des gens ont passé tout l’été dans leur voiture ou dans un camping, et le retour du temps froid annonce un réveil malheureux pour ceux et celles qui ne voient pas l’ampleur du problème. Mais de surcroît, le manque d’espace gruge la marge de manœuvre de tous les ménages sur deux autres axes: le taux d’effort et la mobilité résidentielle.

Au niveau du taux d’efforts, ce n’est pas très compliqué: avec la hausse des loyers, des prix et tout récemment des taux d’intérêts, à peu près tout le monde paie plus cher en 2022 qu’en 2002, sur la base de la proportion des revenus qui sont consacrés au loyer ou à l’hypothèque. C’est particulièrement saillant pour les ménages qui ont dû déménager depuis le début de la pandémie: la compétition pour l’espace habitable s’est traduite par de la surenchère autant dans le marché locatif que dans le marché pour propriétaire-occupant. Alors manque-t-il vraiment d’espace?

On ne constate le manque à combler que quand on tente de déménager. Pour tous les ménages, pour tous les niveaux de revenus, la compétition entre candidats ferme des portes, et force les gens à revoir leurs attentes à la baisse; à déménager loin de leurs emplois, ami་es et famille; à débourser plus que ce qu’ils étaient prêts à payer. Si c’est vrai que presque tout le monde est logé, on peut quand même remarquer que plus personne ne peut bouger.

Résultat: des enfants adultes qui étirent leur séjour chez leur parent plutôt que de partir s’installer près de leurs emplois; des couples séparés qui restent ensemble faute de logements adéquats pour la garde partagée des enfants, des personnes en situation de violence conjugale qui ne peuvent pas fuir le danger à la maison, des personnes qui vendent en flairant la bonne affaire et ne peuvent pas se reloger dans leur propre quartier, des couples qui attendent des années avant de fonder une famille, des ménages locataires qui n’osent pas demander des réparations urgentes à leur propriétaire de peur de ne rien retrouver dans le quartier si jamais ils doivent être relogés.

Toute cette immobilité nous coûte une fortune. Habiter dans un logement qui ne convient pas à nos besoins, ça nous rend malade, ça nous éloigne des opportunités d’emploi, d’éducation et de vie civique, ça nous bloque dans notre parcours de vie. Il n’y a pas de sortie de crise qui ne passe pas par une explosion de l’offre habitable. Il faut plus de places que de gens qui cherchent une place où vivre.

Privé ou public: oui

La part du logement social et communautaire est appelée à grandir et devenir structurante dans le marché. Pour que tout le monde, sans exception, bénéficie d’un logement qui convient à ses besoins et qui ne lui coûte pas cher, un maximum d’unités devrait être construit et exploité par le public ou des OBNL - bien au-delà des quantités aujourd’hui annoncées ou même proposées. C’est une question de résilience de l’écosystème. 

Certaines personnes font aussi face à des défis si importants (itinérance, violence, maladie, pauvreté, etc.) que seule une offre subventionnée peut réellement répondre à leurs besoins. À cet égard, notre dette morale est immense et tout doit être mis en œuvre pour garantir dignité et sécurité à l’ensemble de la population. Soulignons d’ailleurs que le public a tout à gagner à augmenter la cadence des mises en chantier de logements sociaux alors que les mises en chantier privées ralentissent: d’une part garder l’industrie productive, et d’autre part répondre à des besoins qui sont réels, immédiats et indifférents au taux directeur.

Le manque d’espace habitable nous tue à petit feu et le débat entre le public et le privé ralentit inutilement le coup de barre nécessaire. Il faut tous types de logement, de tous types de tenure, et il en faut plus que tout ce qui est envisagé par qui que ce soit en date d’aujourd’hui. Cela ne veut évidemment pas dire construire n’importe comment ou n’importe où, mais ce ne sont d’aucune façon les seules options à notre disposition. On peut absolument construire beaucoup, bien et pour le futur. Le taux d’inoccupation que nous devrions viser ne devrait pas être sous le 7% pour forcer la compétition entre les vendeurs et offrir des conditions de vie améliorées à l’ensemble de la population. À cet effet, on a besoin de tout le monde. 

C’est particulièrement important de mettre la main à la pâte parce que le manque d’espace habitable est à la fois une cause et une conséquence de nos problèmes, un cercle vicieux qui mine tous nos efforts de nous en sortir. Comme le prix des terrains est surtout déterminé par l’argent qu’on est prêt à y mettre, les coûts d’acquisition et de réalisation pour les projets à but non lucratif sont de plus en plus stratosphériques. Tant que nous serons en situation de surenchère endémique, les sommes réservées au logement social et communautaire, quelles qu’elles soient, ne seront pas en mesure d’atteindre leur plein potentiel

Pour casser l’inertie, la construction par le privé et la construction par le public sont deux bons goûts qui goûtent bon ensemble. Nous n’avons pas les moyens de bouder les opportunités réelles de créer un parc résidentiel abondant et adéquat. C’est une urgence environnementale et sociale.

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