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Projet de loi 61 visant la relance de l'économie du Québec : assurer cohérence et transparence

08 juin 2020

Québec, le 8 juin 2020 – Dans le contexte de la crise pandémique, Vivre en Ville reconnaît la pertinence d’accélérer la mise en œuvre de projets qui permettront à la fois de redonner un emploi à celles et ceux qui l’ont perdu, et d’accélérer la transformation du Québec en une société plus juste, plus saine et plus durable. L’organisation salue les efforts du gouvernement en ce sens.

Toutefois, le projet de loi 61 ne doit pas conduire à faire table rase de balises qui visent à garantir la cohérence et la transparence de la prise de décision gouvernementale. Vivre en Ville partage les inquiétudes formulées par plusieurs quant à l’importante marge de manœuvre que semble vouloir se donner le gouvernement.

Dans cette optique, Vivre en Ville rappelle ici quatre principes à respecter et formule, en annexe, des modifications recommandées au projet de loi et une proposition de grille d’analyse des projets de relance.

Quatre principes à respecter

Vivre en Ville souligne l’importance, dans le choix des projets et dans leurs modalités de mise en œuvre, de respecter quatre principes essentiels.

1. Ne pas précipiter les décisions. La plupart des projets de relance mis de l’avant par le gouvernement consistent en des infrastructures ou des bâtiments. Ils vont marquer le territoire québécois pour des décennies, voire davantage, et auront un effet structurant sur les collectivités. Tourner les coins ronds dans la prise de décision aurait des conséquences dommageables dans de nombreuses collectivités québécoises. Il est donc essentiel de prendre le temps d’évaluer les impacts de chaque projet à court, mais aussi à long terme; de s’assurer de sa cohérence avec les objectifs que s’est donnés le Québec et avec les visions locales de développement; et de choisir les meilleures options de réalisation.

2. Ne pas alourdir le bilan carbone; ne pas aggraver la vulnérabilité face aux changements climatiques. Un projet qui aggraverait le « verrouillage carbone » (carbon lock-in) ne se qualifie pas pour contribuer à une relance durable; il ne devrait donc pas bénéficier de mesures d’accélération. L’allègement de la prise de décision ne doit pas avoir pour effet de faciliter la réalisation de projets incompatibles avec l’atteinte des cibles québécoises de réduction des émissions de gaz à effet de serre. De même, il n’est plus temps de réaliser des projets sans tenir compte des effets attendus des changements climatiques.

3. Ne pas contribuer au manque de cohérence en aménagement. Le Québec vit déjà avec les conséquences coûteuses d’un manque de vision et de cohérence en aménagement du territoire. Des centaines d’experts, des milliers de citoyens, des dizaines d’organisations et de municipalités, ainsi que presque tous les grands partis politiques ont réclamé une vision d’ensemble qui assure la cohérence des décisions à travers une Politique nationale d’aménagement du territoire. Une relance économique sans vision territoriale n’est qu’une fuite en avant dont nous paierons les conséquences tôt ou tard.

« À titre d’exemple, les futures Maisons des aînés ne doivent pas être construites pour être construites », met en garde Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville. « Le Québec regorge de bâtiments publics dont la localisation a contribué à déstructurer des collectivités. Nous ne devons plus brader notre territoire en implantant les équipements collectifs sans vision d’ensemble. »

4. Assurer la transparence. Les objectifs du gouvernement sont louables et plusieurs des projets dont le projet de loi 61 veut accélérer la mise en œuvre sont pertinents. Toutefois, toute marge de manœuvre accrue devrait s’accompagner d’un renforcement de la transparence en amont de la prise de décision, et d’une reddition de compte accrue sur ses effets.

Plan québécois pour une relance durable

Le présent projet de loi vise à accélérer à court terme des investissements en infrastructures, mais ne peut pas être qualifié de plan de relance. Au-delà des projets épars et des initiatives ponctuelles, nous devons accélérer les transformations nécessaires et opérer des changements à grande échelle pour être à la hauteur de la triple crise qui nous menace: économique, sociale et environnementale. Vivre en Ville appelle le gouvernement à annoncer l’élaboration, d’ici l’automne, du Plan québécois pour une relance durable.

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À propos de Vivre en Ville

Organisation d’intérêt public, Vivre en Ville contribue, partout au Québec, au développement de collectivités viables, œuvrant tant à l’échelle du bâtiment qu’à celles de la rue, du quartier et de l’agglomération. Par ses actions, Vivre en Ville stimule l’innovation et accompagne les décideurs, les professionnels et les citoyens dans le développement de milieux de vie de qualité, prospères et favorables au bien-être de chacun, dans la recherche de l’intérêt collectif et le respect de la capacité des écosystèmes. www.vivreenville.org

Source
Samuel Pagé-Plouffe, Conseiller à la direction générale – Affaires publiques
514-714-6762
samuel.page-plouffe@vivreenville.org


Annexe 1: Recommandations

Vivre en Ville présente ici une liste non exhaustive de modifications recommandées au projet de loi et à ses modalités de mise en œuvre.

1. Grille d’analyse multicritère des projets

La relance de l’économie ne doit pas être un prétexte pour abaisser les exigences, notamment en matière de protection de l’environnement. Toutefois, lorsqu’un projet réunit des retombées sociales, environnementales et économiques, il peut justifier une mise en œuvre facilitée et accélérée. Cela a déjà été le cas pour des projets d’intérêt général.

Pour s’assurer que tous les projets à l’égard desquels le gouvernement entend exercer les pouvoirs que lui confère l’article 3 présentent les retombées souhaitées, il est primordial de définir une grille d’analyse multicritère à laquelle chaque projet sera soumis.

Vivre en Ville propose un exemple de grille d’analyse en annexe 2.

Recommandation 1: Définir et enchâsser dans la loi une grille d’analyse multicritère d’évaluation des retombées sociales, environnementales et économiques, à laquelle chaque projet sera soumis.

2. Fiche d’évaluation et de suivi des retombées de chaque projet (Annexe 1)

Le projet de loi 61 prévoit l’allègement de plusieurs balises législatives. Il est primordial que cet allègement puisse être contrebalancé par une vigilance citoyenne et collective de l’utilisation de ces nouveaux pouvoirs.

Pour chaque projet figurant à l’annexe 1 et pour chacun des futurs projets, les résultats du projet à l’analyse multicritère doivent être rendus publics (voir aussi recommandation 5).

Recommandation 2: Rendre publics, pour chaque projet dont le gouvernement entend accélérer la mise en œuvre grâce à des allègements législatifs dans le contexte de relance, une fiche d’évaluation et de suivi des retombées issue de la grille d’analyse multicritère, ainsi que les motifs justifiant l’exercice à l’égard du projet des pouvoirs conférés au gouvernement par l’article 3.

3. Respect de la planification locale et régionale (article 27)

La planification locale et régionale est l’illustration de la vision de développement d’une collectivité sur son territoire. Sa cohérence avec les objectifs nationaux devrait, en principe, être assurée par sa conformité aux orientations gouvernementales en aménagement du territoire. La non-conformité d’un projet gouvernemental avec la planification locale devrait donc avoir un caractère exceptionnel.

Prévoir une dérogation générale au principe de conformité entre les outils de planification et les projets enverrait un très mauvais signal quant à l’importance accordée à la planification. Les préoccupations liées à l’aménagement du territoire qui ont fait la manchette toute l’année, en lien avec les risques d’inondation et l’étalement urbain sur le territoire agricole, notamment, n’ont pas disparu avec la crise pandémique. L’aménagement doit être considéré comme une priorité, plus que jamais, dans le contexte de relance économique.

Toutefois, Vivre en Ville reconnaît que la longueur des délais de notification des avis et de mise en conformité des documents de planification prévus aux articles 150 à 157 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme pourraient constituer un frein au démarrage rapide de projets de relance.

Recommandation 3: Ne pas adopter l’article 27. Maintenir l’application des dispositions de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme; raccourcir au besoin les délais prévus aux articles 150 à 157 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.

4. Reddition de comptes (article 29)

Le rapport annuel des projets bénéficiant d’une mesure d’accélération (article 29 du projet de loi) devrait présenter l’évaluation des effets environnementaux, sanitaires et sociaux des projets, en plus des effets économiques, en s’inspirant de la grille d’analyse multicritère de la recommandation n°1. Ces trois éléments constitueraient les critères pour déterminer la pertinence de maintenir une mesure d'accélération du projet. Ce rapport annuel devrait être rendu public.

Recommandation 4: À l’article 29, préciser les « autres mentions que le conseil peut déterminer » pour assurer une évaluation complète des effets environnementaux, sanitaires et sociaux de chaque projet.

5. Analyse des futurs projets à accélérer (article 4)

La grille d’analyse multicritère de la recommandation n°1 doit également s’appliquer pour évaluer l’opportunité de faire bénéficier tout autre projet que ceux mentionnés dans le projet de loi d’une mesure d’accélération. Cette analyse devrait être rendue publique.

Recommandation 5: Compléter l’article 4 par les ajouts suivants (texte souligné):

4. Lorsque le gouvernement entend prendre un décret pour exercer les pouvoirs que lui confère l’article 3 à l’égard d’un projet qui n’est pas visé à l’annexe I, le projet doit faire l’objet d’une évaluation de ses retombées et de ses impacts sur le plan économique, environnemental, sanitaire et social via la grille d’analyse multicritère prévue à l’article X. Cette analyse, ainsi que les motifs justifiant l’exercice à l’égard du projet des pouvoirs conférés au gouvernement par l’article 3, doivent être rendus publics.

6. Responsabilité du Comité consultatif scientifique sur les changements climatiques

Le projet de loi 44 visant la gouvernance efficace de la lutte contre les changements climatiques prévoit la nomination d’un Comité consultatif scientifique sur les changements climatiques afin de conseiller le ministre de l’Environnement. Ce comité devrait être mandaté afin de mesurer les impacts des projets accélérés par le projet de loi 61 et d’assurer leur cohérence avec les cibles (2030 et 2050) de réduction des émissions de gaz à effet de serre du Québec et de protection du territoire. Les analyses et recommandations du comité consultatif devraient être rendues publiques.

Recommandation 6: Mandater le Comité consultatif scientifique sur les changements climatiques pour l’examen des projets dont le gouvernement entend accélérer la mise en œuvre grâce à des allègements législatifs dans le contexte de relance.

7. Ajout et retrait de projets

Pour respecter la recommandation visant à réserver les mesures d’accélération aux projets durables, Vivre en Ville recommande de réviser la liste pour ajouter des projets présentant des effets positifs et soustraire des projets présentant des effets négatifs sur le plan environnemental, sanitaire ou social.

Recommandations 7 et 8:

  • Ajouter le prolongement de la ligne orange jusqu’à la station Bois-Franc. Ce projet doit être étudié séparément des projets structurants de transport collectif électrique pour prolonger le Réseau express métropolitain vers le centre de Laval et relier l’est et l’ouest de Laval (projet 87).
  • Retirer tout projet d’augmentation de la capacité routière à des fins de navettage quotidien, par exemple la construction de l’autoroute 19 entre Laval et Bois-des-Filion (projet 91).

Annexe 2: Proposition de grille d’analyse multicritère

Pour une efficacité maximale, les choix budgétaires et les décisions qui seront prises en vue d’accompagner la sortie de crise devraient répondre à la fois à des critères de court terme, visant notamment la création d’emplois, et à des critères de long terme, renforçant notamment la résilience.

Ces critères doivent servir, d’abord, à écarter les mesures non souhaitables – celles qui seraient stimulantes à court terme (par exemple, en créant des emplois) mais préjudiciables à long terme (par exemple, en contribuant à enfoncer le Québec dans un verrouillage carbone dont il sera coûteux de sortir). Ensuite, à prioriser les mesures les plus porteuses, c’est-à-dire celles qui présentent un maximum de retombées positives.

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