Peut-être parce que j’ai grandi de l’autre côté de la 30, en banlieue éloignée de Montréal (dans la maison sur la photo ci-haut), je trouve qu’on ne parle pas assez et souvent mal de la banlieue. Force est de constater que l’essentiel de l’innovation urbaine porte sur les quartiers centraux. Économie du partage, ruelles vertes, aménagements transitoires: presque toute l’énergie créative se concentre sur les mêmes secteurs, où vivent souvent ceux qui s’intéressent à la qualité des milieux de vie, d’ailleurs.
La banlieue est largement abandonnée par ceux qui réfléchissent au futur de notre société. Du côté de la recherche académique, il y eut un temps le Groupe interdisciplinaire de recherche sur les banlieues, mais ses objets d’étude s’en sont éloignés depuis quelque temps. Je le vois aussi dans les CV que je reçois: tous les étudiants en urbanisme ont fait leur mémoire de maîtrise sur la démocratie participative dans les quartiers centraux montréalais, sur l’aménagement de pistes cyclables, sur la biodiversité urbaine, etc.
Ces sujets et beaucoup d’autres sont pertinents, bien sûr. Mais les quartiers « centraux » comptent peut-être pour 20% de la région de Québec et 25% de celle de Montréal, soit moins de 15% de la population québécoise. Un autre 25% habite en dehors des six grandes régions urbaines (Montréal, Québec, Gatineau, Sherbrooke, Saguenay, Trois-Rivières). Au pourtour des grandes et des moyennes villes, restent donc quelque 50% de Québécoises et Québécois qui peuvent dire qu’ils vivent en banlieue. Environ la moitié de la population québécoise!
Où sont la réflexion, la recherche, les initiatives pour s’occuper de cette banlieue autrement que pour fustiger le mode de vie de ses habitants et ses conséquences économiques et environnementales?
C’est d’autant plus important que la réalité de la banlieue est changeante. On y trouve de nouvelles poches de pauvreté, mais aussi de plus en plus d’emplois. Des déserts alimentaires, et des power centers qui drainent les commerces de proximité hors des cœurs historiques urbains et villageois. Une offre de loisir en croissance, mais difficile d’accès pour qui n’a pas de voiture. Des familles, et beaucoup de ménages vieillissants, donc des besoins très variés en services, en habitation, etc. La banlieue est un fantastique creuset pour changer le monde.
Au vu des impacts de l’étalement urbain, c’est sur la banlieue que devrait se concentrer une bonne part de notre intelligence collective.
Nous sommes fiers, à Vivre en Ville, et malgré notre nom (!), de travailler avec plusieurs villes de banlieue proactives. Nous avons dédié à la banlieue plusieurs publications majeures, des vidéos, et organisé, dès 2013, le colloque La banlieue en transformation. Bien sûr, plusieurs firmes tentent d’innover à travers leurs mandats avec les villes des couronnes de banlieue, et il y a Arpent, qui œuvre en faveur de leur densification douce, mais nous commençons à nous sentir un peu seuls à faire de la banlieue un sujet d’étude, d’innovation et de transformation majeure.
S’intéresser à la banlieue ne veut pas dire accepter les conséquences de son étalement et de son éparpillement. Son impact environnemental et économique est d’ailleurs un des arguments pour mieux s’en occuper. En ce début 2020, nous proposons un programme en trois points.
1. D’abord, il faut continuer d’oser dire et assumer que la banlieue doit cesser de croître en s’étalant. À ce chapitre, l’année a très mal commencé. Alors qu’un rapport de la CMM nous informe que la banlieue dévore maintenant la banlieue, le gouvernement ne semble pas vouloir prendre le taureau par les cornes, en acceptant récemment un schéma d’aménagement comme celui de la MRC de Montcalm.
2. Ensuite, nous devons appuyer l’évolution de la banlieue. Pour revitaliser les anciennes strips commerciales et densifier intelligemment les quartiers de bungalows vieillissants, il faudra un soutien massif de l’État. Vivre en Ville propose des fonds dédiés qui pourraient s’inscrire dans un Fonds en aménagement et urbanisme durables doté d’une enveloppe de 100 millions par année, une de nos propositions au gouvernement dans le cadre du Plan d’électrification et de changements climatiques.
3. Enfin, le plus important est un changement d’attitude: il va falloir cesser d’ignorer et de mépriser la banlieue. La moitié d’entre nous y vivons: nous ne pouvons pas nous laisser tomber.
C’est en banlieue que nous allons réussir ou échouer la nécessaire transition vers une société sobre, résiliente et équitable. Pour cela, il va falloir l’aimer un peu. Peut-être pas pour tout ce qu’elle est en ce moment, mais pour tout ce qu’elle peut devenir.