Nous passons présentement à travers deux crises distinctes mais conjointes: la surchauffe immobilière qui fait gonfler le prix des maisons pour les propriétaires-occupants; et la crise du logement qui se traduit par une explosion des loyers et des conséquences douloureuses pour les locataires du Québec. Dans les faits, peu importe la résolution des enjeux les plus pressants au cours des prochaines semaines et prochains mois, ces crises annoncent une nouvelle réalité avec laquelle il faut composer: il y aura toujours une crise à l’horizon, tant que nous ne nous donnons pas les moyens d’attaquer le problème à la source. Il faudra trancher sur la question fondamentale: l’immobilier doit-il être abordable, ou doit-il être un bon investissement?
Investir dans l’immobilier, c’est payant
La hausse des prix de la dernière année est marquante, mais il ne s’agit que du dernier épisode d’une série qui dure depuis des décennies: l’investissement en immobilier, hormis quelques soubresauts momentanés, a été payant pour les propriétaires depuis les années 70. En étudiant l’indice des prix à la consommation, on voit d’ailleurs que depuis longtemps, la hausse des prix en habitation tire l’inflation vers le haut alors que d’autres postes de dépenses perdent de la valeur, relativement, année après année. C’est donc dire que les personnes qui détiennent un bien immobilier se sont enrichies plus rapidement que la valeur de l’inflation: la définition même d’un bon investissement.
La performance de l’immobilier est le fruit de politiques publiques autant que des conditions de marché: les gouvernements encouragent l’accès à la propriété, ce qui garantit un bon bassin d’acheteurs, ce qui rend la propriété encore plus intéressante comme investissement, ce qui incite les gouvernements à en faciliter l’accès, etc. La logique est bel et bien circulaire: l’immobilier est un bon investissement parce qu’on y investit.
La contribution publique à cette dynamique n’est pas sinistre ou mystérieuse: l’augmentation de la valeur du parc immobilier se traduit en une augmentation du PIB et les ménages propriétaires profitent, en général, d’une amélioration de leurs conditions de vie. En apparence, ces efforts semblent garantir des résultats gagnant-gagnant pour les gouvernements et les citoyens.
Mais dans les faits, les programmes qui garantissent une mise de fonds, les bas taux directeurs, les avantages fiscaux qui encouragent la construction et l’achat de logements pour propriétaires-occupants ont réellement deux impacts distincts et contraires. En faisant baisser l’effort requis pour accéder au marché, ils facilitent l’accès à la propriété pour une partie de la population, mais en augmentant la compétition sur le marché pour le logement existant, ils compliquent l’accès à la propriété pour toute la population!
Cette logique atteint aujourd’hui sa limite. Compte tenu de l’écart qui s’est creusé entre les prix des maisons et les revenus des ménages, continuer à soutenir la croissance des prix demandera de plus en plus d’interventions et de fonds publics, pour de moins en moins de ménages. En marge de tout ça, qu’arrive-t-il aux personnes qui ne peuvent pas acheter de propriété, même avec le soutien de l’État?
Un droit fondamental… et menacé
Selon les chartes en vigueur, le logement est un droit. Pour assumer ses responsabilités, le gouvernement doit investir nettement plus dans le logement social et communautaire pour assurer une offre adéquate pour les gens qui ont des besoins impérieux de logement. Mais cela ne suffira pas à régler les problèmes d’abordabilité.
En effet, les investissements requis pour construire et entretenir ce parc social dépendent de l’état du marché privé! Puisque les terrains, matériaux et professionnels engagés dans la réalisation de projets sociaux sont les mêmes que dans les projets privés, la hausse du marché privé met à mal les plans du parc social. C’est, entre autres, pour ces raisons que les sommes allouées à l’entretien des HLM montréalais ont été nettement insuffisantes pour… entretenir les HLM. Ainsi, les engagements du gouvernement seront toujours à la traîne des besoins réels si le marché immobilier continue à s’apprécier plus rapidement que l’inflation générale.
Dans ces circonstances, il semble évident que le droit au logement est menacé par la situation de marché. Si les sommes réservées par le gouvernement pour le logement hors marché sont condamnées à être insuffisantes, et si les autres politiques publiques encouragent les prix du marché à augmenter, de plus en plus de personnes tomberont en situation de précarité, et seront contraintes de vivre dans des conditions de plus en plus dégradées.
Nous pouvons changer les règles du jeu
La vigueur du marché immobilier du dernier demi-siècle n’est pas une constante naturelle. Si les règles du jeu changent, les joueurs agissent différemment.
La première étape serait de passer d’un marché de vendeurs à un marché d’acheteurs. Renverser le pouvoir de négociation au profit des gens qui souhaitent acheter se traduit par une baisse des prix, assez naturellement. Pour ce faire, un boom de construction est probablement requis. La vigueur du marché indique un déficit accumulé pour tous les types de logement, dont le social et le communautaire, et nous devons dépasser la demande pour garantir une offre abondante à tous ceux qui souhaitent habiter dans des collectivités viables.
Y arriver ne sera pas chose facile: il faudra faire preuve de vouloir et de savoir pour relever les défis techniques, politiques et financiers qui se dressent entre nous et le logement abondant.
En parallèle, l’accumulation de richesse par l’immobilier peut et doit être contrôlée. Les profiteurs suivent le profit: ce n’est pas la financiarisation qui a rendu les maisons chères, ce sont les maisons chères qui ont attiré les financiers. Il faudra un régime fiscal à la fois mordant et sensible pour réorienter les flux de capitaux vers d’autres secteurs de l’économie.
Un bon objectif à se donner dans le futur plan d’action gouvernemental en habitation serait que l’appréciation du prix des habitations ne dépasse pas l’inflation.
Si nous avons choisi, depuis 1970, de faire de l’habitation un bon investissement, nous croyons qu’il est aujourd’hui temps de faire un choix différent. Le logement doit être abordable, pour tous.
Pour Vivre en Ville, cette réflexion n’est que le début de notre engagement en matière d’accès au logement (merci à mes collègues de l’équipe Habitation pour leur travail et leur appui!). Nos travaux en la matière vont se poursuivre et s’intensifier, parce que c’est un aspect fondamental du développement de collectivités viables.