Mieux construire nos bâtiments, nos rues, nos quartiers, nos agglomérations

On ne se trompe jamais avec la proximité

Par: Christian Savard
09 mars 2022

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Peut-être gardez-vous un œil inquiet, ces temps-ci, sur l’augmentation du prix de l’essence. Si oui, c’est que vous faites partie de la majorité de la population québécoise, celle qui dépend d’une voiture pour assurer la majorité de ses déplacements, et donc réaliser les activités nécessaires à sa vie quotidienne. 

Un budget transport qui augmente, pour certaines familles, ce sont les vacances qui partent en fumée. Pour d’autres, c’est moins de sorties, moins de loisirs. Quand les coûts de transport s’envolent, ce sont les autres dépenses « discrétionnaires » qui écopent, bien souvent au détriment de la culture et des commerces locaux. L’essence plus chère, ça peut aussi être ce qui fait basculer un budget dans le rouge, ou qui empêche de payer les nouvelles bottes ou le camp de jour de la petite dernière. 

Nous sommes fortement dépendants du pétrole, et à chaque choc, les gouvernements se débattent pour éviter une crise sociale (en passant, la pire erreur en ce moment serait de baisser les taxes sur l’essence. Le prix du carburant n’est habituellement bas que parce qu’il n’intègre pas toutes les externalités liées à son usage. La situation actuelle est sans doute ce qui s’approche le plus des vrais coûts). 

Le Québec importe 100% de son pétrole, mais il est, sur le marché mondial, un tout petit client. Nous sommes donc à la merci des soubresauts, qu’ils soient politiques, climatiques ou économiques. 

Nous savons, au moins depuis le premier choc pétrolier de 1973, que cette dépendance est un problème. Pourtant, alors que nous bâtissions le Québec de l’avenir, nous avons aggravé cette dépendance au lieu de la réduire. 

En 1990, on comptait à peine plus de 400 véhicules pour 1000 personnes. En 2010, on frôlait les 550 véhicules pour 1000 personnes. Si la tendance se maintient, nous aurons près de 700 voitures par tranche de 1000 personnes en 2030. Le parc automobile a augmenté trois fois plus vite que la population dans les trois dernières décennies!  

Je dis « voitures », mais en même temps que le nombre de véhicules augmentait, leur taille a également explosé. Au début des années 1990, les camions légers représentaient 15% du parc automobile privé. En 2010, c’était près de 30%. En 2020, c’est 45%. 

Évidemment, davantage de véhicules de plus en plus gros consomment, malgré les progrès de l’efficacité énergétique, davantage de pétrole. 

Mais il y a encore plus grave. Si notre dépendance à l’auto a atteint des sommets, c’est beaucoup parce que nous avons construit nos villes et nos vies de façon à rouler davantage. Les régions urbaines se sont étalées. Les commerces ont migré, des centres-villes et des noyaux villageois, vers les périphéries routières et autoroutières. Les écoles ont grossi, les épiceries aussi, et il faut parcourir aujourd’hui davantage de chemin pour aller étudier ou chercher une pinte de lait. 

En temps « normal », cela coûte cher en infrastructures routières, et l’étalement urbain a de graves conséquences sur la santé, la biodiversité, l’agriculture de proximité et les paysages que nous aimons. Mais lorsque l’essence se renchérit, c’est notre portefeuille qui fait les frais de notre imprévoyance. 

En 2018, nous avons acheté, juste pour faire rouler nos voitures et nos camions légers, plus de sept milliards de litres d’essence, selon l’État de l’énergie au Québec. Chaque fois que le litre augmente de 10 sous, nous dépensons donc 700 millions de plus, pour faire les mêmes déplacements. Ces centaines de millions et bientôt ces milliards sortent souvent de l’économie locale. À terme, ce sont donc des communautés moins prospères, des commerces et des entreprises qui ferment, des emplois perdus. 

Notre dépendance à l’auto nous coûte cher, personnellement et collectivement. En sortir demande des actions décisives et coordonnées, que la crise climatique a rendu encore plus urgentes

Bien sûr, il faut accélérer l’électrification des transports, en suivant pour cela l’exemple des meilleurs, notamment la Norvège, qui taxe substantiellement les véhicules à essence pour rendre les autos électriques plus compétitives. 

Mais un char reste un char, c’est-à-dire un assemblage coûteux de verre, de plastique et d’acier, équipé de microprocesseurs et autres dispositifs technologiques de pointe. Un équipement qui dépend de chaînes d’approvisionnement complexes, dans un marché où, là encore, le Québec est dans une situation de dépendance extrême. 

Si nous ne voulons pas tomber d’une dépendance dans une autre, cette fois-ci aux métaux rares des batteries électriques ou aux technologies embarquées, notre objectif ne doit surtout pas être de remplacer chaque véhicule à essence par un véhicule électrique. Ce qu’il faut vraiment viser, c’est la sobriété. 

Pour sortir, autant que possible, de notre état de vulnérabilité, la réduction de la dépendance à l’auto doit devenir notre priorité. Chaque nouveau bâtiment doit être plus proche de la population qu’il dessert, chaque nouvelle résidence doit s’intégrer dans un milieu sobre en carbone. Il faut mettre en œuvre une croissance réparatrice, qui réduit les distances à parcourir, soutient la vitalité locale et maximise les retombées des investissements en transport collectif, qui doivent augmenter substantiellement. Il faut revoir nos modes et nos milieux de vie avec, comme priorités absolues, la proximité et la sobriété. 

Quand on mise tout sur une nouvelle technologie, il arrive qu’on se trompe – qu’elle révèle, après coup, ses faiblesses ou ses angles morts, ou qu’elle soit dépassée par une autre plus prometteuse. 

Quand on choisit la proximité, on ne se trompe jamais. 

Cela fait 15 ans que le prix de l’essence n’est pas durablement redescendu en bas d’un dollar. Ce qui était au départ une crise est devenu presque normal. Quand la courbe se redresse, on parle davantage de transport en commun, les VUS sont moins en demande pendant quelques mois, on s’inquiète un peu pour les plus pauvres. Et puis, on s’habitue. 

Les crises nous donnent à voir l’ampleur de notre dépendance et de ses conséquences. Nous ne devons plus nous permettre d’oublier. Changeons de direction, dès aujourd’hui.

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