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Télétravail : attention aux distractions

Par: Jeanne Robin
06 juin 2020

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Cela a commencé un peu brutalement, mais le télétravail est maintenant bien implanté dans la vie de nombre d’entre nous. Il faut admettre que ce fut une grosse expérience collective, autant pour les entreprises que pour leurs équipes. Aujourd’hui, s’il y en a qui adorent et d’autres qui endurent, la plupart s’entendent pour dire que cet apprentissage accéléré du télétravail va laisser des traces durables.

Plusieurs ont aussi commencé de voir le télétravail comme une solution d’avenir qui répond à des problèmes variés. Implanter le télétravail durablement et à grande échelle pourrait réduire le temps passé à se déplacer, facilitant ainsi la conciliation travail-famille. Cela pourrait limiter les besoins en espaces de bureau et les coûts fixes pour les entreprises et les institutions. Dans la foulée de la diminution des déplacements, le télétravail pourrait contribuer à réduire la congestion routière, le coût des infrastructures et le bilan carbone des transports.

Tout ceci apparaît encourageant, mais ces promesses seront-elles tenues? Faut-il adapter au télétravail non seulement nos pratiques professionnelles, mais aussi nos bureaux, nos logements et même notre organisation territoriale?

Avant de remettre en question tout ce que nous pensions jusqu’ici en matière d’immobilier et de mobilité, prenons un pas de recul pour évaluer, d’abord, le potentiel du télétravail et, ensuite, les effets de son déploiement.

Le télétravail, c’est pour qui?

Tous les emplois ne peuvent pas se faire à distance. Recevoir de la clientèle, soigner, enseigner, fabriquer: tout cela implique une présence. Fin avril, au Québec, malgré les mesures strictes et l’arrêt des activités « non essentielles », près de la moitié des personnes en emploi se déplaçaient encore vers leur travail chaque jour, selon un sondage Léger. Et le Québec avait vu disparaître plus de 800 000 emplois, soit près d’un emploi sur cinq. Preuve, s’il en est besoin, que le télétravail n’est pas accessible à tous.

Même parmi celles et ceux dont le type d’emploi s’y prête, rares sont les volontaires pour du télétravail à temps plein. Ainsi, selon le même sondage Léger, seulement deux néo-télétravailleurs sur cinq voudraient travailler de la maison « beaucoup plus souvent » à l’avenir (en France, moins de 2% souhaiteraient télétravailler tous les jours). Le souhait d’un retour, même partiel, sur son lieu de travail, est motivé par le désir de retrouver ses collègues et de se sentir faire partie d’une équipe, la fatigue des rencontres à distance, le confort de l’espace de travail, mais aussi une meilleure séparation travail-vie personnelle. Se plaire en télétravail implique d’avoir le type d’emploi, mais aussi la personnalité, qui s’y prêtent.

Au final, le potentiel réel du télétravail, entre le 10 à 15% d’avant et le 30 à 40% durant la crise, reste à préciser. Certains experts avertissent d’ailleurs qu’on surestime son efficacité, qui ne sera que temporaire. Pour la fonction publique québécoise, actuellement à 71% à distance, l’État envisage une cible de 20% de personnes en télétravail 2 ou 3 jours par semaine. On parle donc de 8 à 12% du temps de travail gouvernemental qui pourrait, à terme, se faire à domicile (ou dans un café ou un espace de travail partagé).

Quels impacts sur les déplacements?

Même si le potentiel du télétravail est somme toute limité, il pourrait faire une différence, notamment sur le transport. Mais le soulagement de la congestion lié à une possible réduction de 10% des déplacements risque d’être très temporaire, la capacité libérée étant rapidement comblée par de nouveaux véhicules, selon le principe de la demande induite. Qui plus est, le lien entre mobilité durable et télétravail est depuis longtemps questionné. 

Certes, des études concluent que le télétravail peut réduire les déplacements aux heures de pointe. Un effet potentiellement très intéressant, car c’est l’heure de pointe qui détermine la capacité des infrastructures de transport. Mais d’autres études montrent que les personnes qui font du télétravail ont tendance à « compenser » par des trajets à d’autres fins et qu’au final, télétravailler quelques jours par semaine ne réduit pas le temps passé à se déplacer. Des chercheurs ont même estimé qu’aux États-Unis, télétravailler fait parcourir en moyenne, tous motifs confondus, 60 kilomètres de plus par jour.

Quels impacts sur les milieux de vie?

Par-dessus tout, les urbanistes redoutent depuis longtemps l’effet rebond du télé-étalement qui fait qu’une personne qui n’a plus besoin de se rendre au travail tous les jours aura tendance à choisir d’habiter plus loin de son lieu d’emploi. Ainsi, en Suisse, les adeptes du télétravail habitent en moyenne 10 km plus loin de leur lieu de travail.

Au-delà de la mobilité, le télétravail pose la question de l’optimisation des bâtiments. L’espace de bureaux potentiellement économisé par les entreprises ne va-t-il par être largement compensé par une augmentation des superficies résidentielles? Par ailleurs, sur le plan énergétique, travailler de la maison semble moins efficace que travailler au bureau, notamment grâce aux économies d’échelle.

Ne pas oublier l'essentiel

Bref, le télétravail ne pourra concerner qu’une petite proportion de la population, qui le pratiquera le plus souvent à temps partiel. On peut espérer une légère réduction des déplacements à l’heure de pointe, dont les bénéfices seront cependant limités. Le télétravail présente par ailleurs plusieurs effets pervers, puisqu’il peut favoriser l’étalement urbain – aux impacts bien connus sur les terres agricoles, les milieux naturels, le coût des infrastructures et le bilan carbone –, entraîner un dédoublement coûteux des équipements, augmenter l’espace globalement alloué au travail et nuire à l’efficacité énergétique.

Pour les personnes qui en bénéficient, le télétravail peut être une option fantastique. On peut se réjouir que la crise sanitaire ait ouvert les yeux de nombreuses organisations, publiques et privées, quant à son potentiel. Mais il ne s’agit pas d’une solution miracle, et la possibilité du télétravail ne doit pas nous distraire de nous attaquer en profondeurs aux vrais enjeux. Si nous consacrons trop d’énergie à nous occuper de télétravail, nous allons passer à côté de l’essentiel.

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