Pour mes quatre prochaines chroniques, je me propose d'explorer des idées au premier abord radicales, mais qui ne le sont pas tant que ça, puisqu’elles sont déjà mises en œuvre ailleurs dans le monde. Pour commencer: la Passe Québec.
Que diriez-vous, grâce à un abonnement annuel au montant de 49$ par mois, de pouvoir prendre l’ensemble des transports en commun urbains et interurbains du Québec de manière illimitée? Que ce soit pour le métro à Montréal, la bus à Québec ou l’autocar vers Baie-Saint-Paul, un seul et même laissez-passer pour tout le Québec…
Impossible, vous dites? Trop compliqué? Trop cher?
Pourtant, les Allemands viennent de le faire en mettant en place le DeutschlandTicket à 49 euros par mois, qui donne accès à l’ensemble des réseaux de transport en commun du pays à l’exception des trains nationaux à haute vitesse.
Quels seraient les avantages d’une Passe Québec à 49$ par mois financée par l’État québécois? Regardons un peu les différents aspects.
Simplicité de la vie sans voiture: Voilà l’avantage le plus clair. La grande force de la voiture est sa simplicité d’utilisation: on prend sa clé et on part, que ce soit pour aller au travail ou partir en vacances. Avec la Passe Québec, même chose: qu’on parte pour Laval sur la ligne Orange ou à Sherbrooke en autocar, pas de problème, on amène notre Passe Québec annuelle; c’est tout. On le sait, la complexité des tarifs et l’intégration laborieuse entre les zones est un obstacle réel à l’usage des transports collectifs.
Abordabilité: À un coût de 49$ par mois, cette Passe remplacerait avantageusement les tarifications spécifiques (aîné, étudiant, sociale, etc.) mises en place par les sociétés de transport ou les transporteurs privés. Le laissez-passer social du Réseau de transport de la Capitale, par exemple, est à 61,30$ par mois. Ainsi, les villes pourraient libérer des sommes d’argent pour investir dans le service plutôt que de jouer un rôle de soutien social qui relève plutôt de l’État. L’équivalent en facilité de la gratuité du transport en commun, sans le lourd fardeau financier. À une époque où l’augmentation du coût de la vie frappe de plein fouet l’ensemble des ménages, les alternatives de transport plus abordables (et écologiques de surcroît) doivent être valorisées.
Relance post pandémique: On le sait, la pandémie de COVID a fait baisser l’achalandage du transport en commun. C’est à Montréal que la baisse est la plus importante, avec seulement 75% de l'achalandage de 2019. Avec la Passe Québec, on incite les télétravailleurs à temps partiel – ceux qui n’achètent plus que des billets – à se réabonner à l’année, pour un impact plus prévisible sur leur budget mensuel et une incitation à prendre aussi le transport en commun en dehors des déplacements domicile-travail.
Régions: Cette mesure serait évidemment avantageuse pour les centres urbains disposant de sociétés de transport, mais aussi pour les régions du Québec. En simplifiant l’abonnement et en réduisant le coût, elle contribuera à installer une culture du transport en commun dans des villes et MRC où le service est encore récent, et parfois difficile à financer. À titre d’exemple, à Rimouski, le laissez-passer mensuel est de 105$. La Passe Québec viendrait donner un gros coup de pouce dans ce genre de cas.
Surtout, en incluant le transport interurbain, la Passe Québec ouvrirait les possibles pour se déplacer entre les villes du Québec, que ce soit vers les grands centres ou vers les régions. On peut penser aux avantages pour les jeunes, moins accros à l’auto que leurs parents, aux personnes aînées, qui doivent parfois se déplacer vers des services spécialisés, ou aux touristes qui ne veulent pas conduire de longues heures. Cette inclusion du transport interurbain a été un gros succès en Allemagne. Elle permettrait aussi de relancer des lignes d’autocar qui étaient au seuil de la rentabilité, comme à Saint-Georges-de-Beauce qui a récemment perdu son service. N’oublions pas que ces longs déplacements sont très émetteurs de gaz à effet de serre.
Financement du transport en commun: La ministre Guilbault est actuellement en tournée auprès de différents partenaires, notamment du monde municipal, afin de revoir le cadre financier du transport en commun. La Passe Québec serait un formidable outil pour stimuler la demande et lier une partie du financement à l’achalandage et à la performance, puisque le gouvernement compenserait les sociétés de transport.
Comment financer cette mesure? Le Fonds d’électrification et de changements climatiques sera de mieux en mieux financé dans les prochaines années, avec l'augmentation du coût de la tonne de gaz à effet de serre. Voilà la source de financement la plus logique, puisque la Passe Québec contribuera à diminuer les émissions. On peut aussi regarder du côté des subventions aux véhicules électriques, une mesure très coûteuse et inéquitable, qui devra disparaître plus tôt que tard avec la généralisation de l’électrification.
N’oublions pas qu’en plus de son effet sur le climat, un déplacement en voiture coûte beaucoup plus cher à la société qu’un déplacement en transport en commun. Il y a les coûts de construction et d’entretien des routes, la congestion, la pollution, les coûts de santé. Bref, l’argent ne devrait pas nous arrêter si on décide de miser sur le transport en commun.
Pourquoi ne pas investir plutôt dans l’offre de service? Plusieurs vont soulever qu’il serait plus opportun d’investir dans l’offre de transport en commun, que c’est la qualité de l’offre qui fait que les gens embarquent dans le transport en commun. Mon côté «geek de transport» m’a longtemps fait penser comme ça, mais je ne crois plus qu’il faille opposer les deux: il faut juste faire les deux. Ça me fait penser à BIXI. Au tout début de BIXI, il en fut pour soulever que c’était une dépense mal avisée, qu’il faudrait plutôt aménager des infrastructures cyclables. On se rend bien compte aujourd’hui que BIXI a puissamment contribué à faire passer la culture vélo à Montréal au niveau supérieur – et les infrastructures cyclables suivent, maintenant! La Passe Québec a un potentiel semblable de changement de culture pour le transport en commun.
Au-delà de la simplicité, de l'abordabilité, du bilan carbone, c’est en effet dans le changement dans la culture et la norme sociale que réside le principal atout d’une Passe Québec. Avec une telle mesure portée par le gouvernement du Québec, on lance le message que le transport en commun, c’est important, que l’État s’en occupe et que ce n’est pas une simple charge que le gouvernement refile aux municipalités et MRC. Comme je l’évoquais au début de ce texte, par sa facilité d’utilisation, la Passe Québec deviendrait pour le transport en commun l’équivalent de la clé de la voiture.
Poussons plus loin: si la Passe Québec donnait aussi accès à l’abonnement à Communauto et au vélopartage (BIXI et compagnie), rendu de plus en plus disponible partout? Si on remettait à chaque jeune Québécois une première Passe Québec gratuite, afin que le rite de passage ne soit plus d’obtenir le permis de conduire, mais bien de recevoir par la poste (ou par texto!!!) sa propre Passe Québec le jour de ses 16 ans.
Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un rêve. C’est un projet réaliste que d’autres pays, comme l’Allemagne, mettent en place avec succès. C’est tout simplement une mesure adaptée aux défis de notre temps et qui rapporterait gros au premier ministre ou à la ministre des Transports et de la Mobilité durable qui la mettrait en place.