Le quotidien de la plupart d’entre nous se partage entre les lieux incontournables que sont le travail et la maison. Deux autres équipements sont par ailleurs étroitement imbriqués dans nos vies: l’épicerie, pour des visites au moins hebdomadaires, et l’école, chaque jour durant de nombreuses années. Mais l’avez-vous remarqué? Il est de plus en plus rare de pouvoir se rendre à pied, ou en moins de trois minutes de voiture, à ce qui devrait pourtant être des services de proximité.
La tendance à des formats de plus en plus gros, aussi bien pour les écoles que pour les épiceries, est une des causes de cette situation qui a plusieurs conséquences regrettables.
Je participais récemment à un comité sur le réaménagement d’un secteur dans une ville de la banlieue de Montréal. J’ai été surpris d’apprendre que la commission scolaire planifiait le développement de nouvelles écoles primaires de quatre classes par niveau, soit près de 1000 élèves. Le bassin de recrutement d’une telle méga-école est tellement étendu que le seul moyen de la “remplir” sera d’acheminer par autobus scolaire des élèves qui, pour la plupart, viendront de trop loin pour pouvoir s’y rendre à pied.
Au même moment, le mandat de notre comité était d’aménager un milieu « marchable ». Mais marchable pour qui, si les distances y sont de toute façon trop longues pour la plupart des gens? À l’heure où on promeut l’activité physique, priver les jeunes d’un déplacement actif au quotidien est complètement contradictoire avec les cibles de santé publique.
À quelle étape de planification de la couverture scolaire avons-nous oublié le principe d’« un quartier, une école »?
Nous sommes obligés de faire avec les établissements déjà construits, mais il est encore temps de redresser la barre pour ceux qui sont à bâtir.
Le cas des épiceries
Au Québec, si 6% de la population vit dans un désert alimentaire – 13% en milieu rural –, c’est en partie parce que les épiceries sont de plus en plus grosses. Pour une grosse épicerie qui ouvre en périphérie, c’est souvent deux moyennes qui ferment au cœur des milieux de vie. Le large bassin de clientèle d’une grosse épicerie sera généralement forcé de s’y rendre en voiture. Pour un panier d’épicerie potentiellement moins cher, quel impact sur le bilan de gaz à effet de serre?
D’autant plus que l’épicerie ne part souvent pas seule. Elle entraîne avec elle les autres commerces, des restaurants et des services et activités de loisirs, qui voudront profiter de son achalandage.
Une épicerie de taille moyenne pouvait facilement s’intégrer dans un noyau villageois ou sur une rue commerciale. Une méga-épicerie, en revanche, aura besoin d’un méga-stationnement, construit à même des terres agricoles ou des milieux naturels, et créant un milieu absolument hostile aux piétons.
Nous parlons souvent, dans nos conférences, de l’objectif de bâtir des « milieux de vie complets » où la plupart des services sont accessibles à pied, et cette idée plaît à une écrasante majorité. Impossible d’avoir cette vie de proximité sans école et sans épicerie. Impossible de répartir équitablement ces services s’ils sont surdimensionnés.
Construire et laisser construire des écoles et des épiceries trop grosses, c’est vider des villages et des quartiers de leurs services de proximité.
Pour les municipalités, c’est un superbe défi de réglementation et de courage urbanistique que de reprendre le contrôle de la taille des épiceries. Le format des écoles, quant à lui, doit faire partie de la réflexion sur une meilleure intégration des établissements au milieu, une réflexion qui devrait mobiliser à la fois le ministère de l’Éducation, les commissions scolaires et les villes.
Nos villes et nos milieux de vie sont faits de leurs équipements, tant publics que privés. Pour bien les répartir, nous devons aussi remettre en question leur taille. Car elle compte.