Ceux qui s’intéressent au développement des collectivités ont entendu parler de la difficulté des villes à financer le renouvellement de leurs infrastructures, un enjeu aussi brûlant que récurrent. Je saisis donc l’occasion du prochain pacte fiscal pour vous parler d’un phénomène préoccupant: la chaîne de Ponzi des finances municipales.
Cette chronique, un peu longue mais, j’espère, passionnante, s’inspire d’un argumentaire développé par Charles Marohn (Strong Towns).
Les récents déboires d’une compagnie de voyages vers la Chine nous ont offert un nouvel exemple des dangers de la chaîne de Ponzi comme modèle économique. La chaîne de Ponzi débute en attirant des investisseurs (ou des clients) par un produit dont le rendement élevé (ou le faible prix à l'achat) repose sur l’implication ultérieure de nouveaux clients ou investisseurs. La chaîne se brise quand le vendeur ne parvient plus à attirer de nouveaux acquéreurs et n’est plus en mesure de fournir le service promis aux clients actuels.
Or, le développement urbain tel qu’il se pratique depuis des décennies s’apparente à une chaîne de Ponzi, l’intention criminelle en moins. Les municipalités échangent des responsabilités à long terme d’entretien, de réparation et de remplacement d’infrastructures contre des entrées à court terme de liquidités sous forme de taxes.
Dans un système équilibré, ces revenus devraient permettre de couvrir à la fois les obligations courantes et les investissements liés aux travaux majeurs.
La chaîne de Ponzi apparaît lorsque cet équilibre n’est pas assuré. C’est ce phénomène qui semble actuellement à l’œuvre dans nos municipalités, à leur grand désarroi.
Développement urbain et financement des infrastructures
Depuis plusieurs décennies, nous vivons une phase d’expansion urbaine rapide caractérisée par la motorisation des déplacements, la maison unifamiliale et un éparpillement croissant. Ce mode de développement est très consommateur d’équipements publics: construire une seule unité d’habitation, avec toute la voirie et les canalisations qui l’accompagnent, là où l’on aurait pu en bâtir six, coûte très cher.
Ce qui est pourtant devenu une norme sociale n’a pu fonctionner que grâce à une conjoncture parfaite de forte croissance économique et démographique, ainsi qu’à l’appui de programmes gouvernementaux substantiels. Les capitaux des paliers supérieurs et des promoteurs ont afflué dans les villes pour développer de nouveaux quartiers. Au fil du temps, les municipalités se sont ainsi retrouvées avec tout un parc d’infrastructures publiques à entretenir... et la responsabilité de leur remplacement au terme de leur durée de vie utile.
C’est au moment précis du remplacement nécessaire des infrastructures publiques que le piège de la chaîne de Ponzi s’enclenche.
Le renouvellement des infrastructures n’étant plus assumé ni par les promoteurs, ni par les paliers de gouvernement supérieur (sauf, malheureusement, dans le cas des autoroutes), c’est aux municipalités de trouver les capitaux nécessaires pour assurer la pérennité du modèle. Ces capitaux peuvent être empruntés : mais, pour rembourser ces investissements de long terme, encore faut-il que les entrées d’argent des taxes locales soient suffisantes. Dans des quartiers trop peu denses et aux infrastructures surdimensionnées, cela se traduit pour les ménages par une augmentation considérable du niveau de taxation.
À l’heure actuelle, les revenus ne permettent aux municipalités que d’entretenir et de réparer les infrastructures, mais pas de les remplacer.
La chaîne de Ponzi ou la fuite en avant
Pour assurer le renouvellement des infrastructures des secteurs déjà développés, les municipalités se lancent donc dans une fuite en avant : elles élargissent leur assiette fiscale en ouvrant de nouveaux secteurs au développement. Puisque, dans un premier temps, le coût de construction des infrastructures de ces nouveaux secteurs est assumé par les promoteurs et par les gouvernements supérieurs, les taxes des nouveaux résidents sont disponibles pour payer le renouvellement des infrastructures des quartiers plus anciens.
Ce faisant, les municipalités prennent toutefois la responsabilité d’infrastructures supplémentaires dont elles devront assumer le renouvellement en fin de cycle de vie. Ainsi, selon le modèle actuel, il leur faudra alors ouvrir de nouveaux secteurs au développement pour avoir de nouveaux revenus « disponibles » : on est bien dans une chaîne de Ponzi!
Ce système est une des raisons de la compétition entre les municipalités qui se déchirent pour attirer le développement immobilier, trop souvent sur des milieux naturels ou agricoles.
Cette chaîne de Ponzi financière s’applique également aux écosystèmes et à notre climat. Nos villes bâties autour de l’automobile surconsomment ce que la nature leur offre et celle-ci peine de plus en plus à filtrer l’eau, à purifier l’air et à nourrir les populations. Dans les villes québécoises, avec la généralisation du modèle de développement suburbain, chaque fois que la population augmente de 1%, la superficie occupée par la ville progresse de 5%. En matière d’environnement, on observe donc également une fuite en avant et on repousse le paiement de nos dettes.
Si rien ne change, la chaîne se poursuivra jusqu’au jour où la capacité des écosystèmes sera dépassée et où les entrées de capitaux ne permettront plus aux municipalités d’honorer leurs obligations. Pour appréhender la crise qui s’annonce, on n’a qu’à voir l’état de panique des municipalités qui arrivent au bout de leur périmètre d’urbanisation pour mesurer ce que le mode de développement des dernières décennies a d’irréfléchi.
Aider les municipalités à sortir de la chaîne de Ponzi avec le prochain pacte fiscal
La plupart des municipalités sont conscientes qu’elles se trouvent au cœur d’une chaîne de Ponzi. En sortir apparaît toutefois difficile, pour chaque municipalité prise isolément. C’est là qu’entre en jeu la renégociation du pacte fiscal.
Le prochain pacte fiscal doit faire plus qu’assurer la stabilité financière des municipalités pour un prochain mandat. Il doit entamer la révision du modèle fiscal pour permettre aux municipalités de sortir de la spirale dans laquelle elles sont prises. Il y a d’autant plus urgence que la course au développement à tout prix a d’importantes conséquences environnementales, en tendant à niveler par le bas les pratiques d’aménagement et de développement.
Il est difficile à une municipalité de se montrer exigeante avec un promoteur immobilier quand elle dépend de son projet pour équilibrer son budget.
Il apparaît donc nécessaire de réformer en profondeur la fiscalité municipale, notamment pour mettre fin à la prime à l’étalement urbain. C’est un important chantier qui ne pourra pas se régler en quelques mois et qui devra se poursuivre au-delà du nouvel accord de partenariat fiscal entre Québec et le monde municipal. Ce sera une entreprise passionnante, aussi bien pour les fiscalistes que pour les urbanistes, ainsi que tous ceux qui se préoccupent de la qualité de nos milieux de vie, de notre survie et de notre prospérité future. Bref, c’est un incontournable!