Depuis plus de 15 ans, je travaille à convaincre citoyens, décideurs, professionnels et acteurs privés de l’importance de faire de nos villes et de nos villages des lieux plus beaux, plus verts, pour une meilleure qualité de vie. Force est de constater que le pire frein à cela, c’est le stockage des automobiles.
Le stationnement, c’est une des plus grandes contraintes liées à l’utilisation massive de la voiture. On doit se stationner chez soi, devant chez ses amis, au travail, au cinéma… Dans plusieurs villes nord-américaines, on compte au moins trois places de stationnement pour une seule voiture.
Tout cet espace perdu tue nos collectivités. Nos efforts, nos idées, notre argent échouent face à la priorité donnée au stationnement. Si les autos pouvaient miraculeusement disparaître dès qu’on cesse de les utiliser, je me demande si mon travail serait encore nécessaire tellement l’obstacle, c’est TOUJOURS le stationnement!
Aménager une piste cyclable? On ne peut pas, il faut garder du stationnement sur rue.
Construire du logement abordable? Les normes minimales de stationnement empêchent de faire de la densité agréable, ou augmentent les coûts de construction.
Augmenter la canopée pour rafraîchir et améliorer la qualité de l’air? Impossible, il faut couper des arbres pour aménager des entrées de garage.
Concevoir une rue principale agréable? Bon courage pour élargir les trottoirs dans les centralités alors que toutes les voix se porteront à la défense du stationnement sur rue.
Conserver le patrimoine? Dernièrement, on assiste à une véritable hécatombe avec la démolition de bâtiments au cœur des villages pour les remplacer par du stationnement.
Préserver des commerces de proximité? C’est en réponse à notre soif insatiable de stationnement que sont nés les power centers.
Améliorer le bilan routier? Le stationnement aggrave l’insécurité routière en empêchant de bien voir les piétons.
Quoi qu’on fasse, on finit toujours par gérer du stationnement. Les trois quarts des problèmes de nos collectivités y sont liés. Face à la question du stationnement, nous devons devenir courageux, inventifs et un peu obsédés si nous ne voulons pas nous laisser déposséder de notre qualité de vie. Dans chaque plan, dans chaque projet, il faut tout mettre en œuvre pour minimiser le nombre de cases et les nuisances du stationnement.
Il y a évidemment l’approche de gestion des méfaits qui consiste à minimiser les impacts. Les effets néfastes d’un stationnement seront limités si on le place en fond de lot plutôt qu’en façade, et qu’on le verdit pour limiter les îlots de chaleur. Cette approche n’est cependant pas suffisante, surtout qu’elle fait souvent office de greenwashing.
Deuxième approche: il faut réhabiliter les stationnements étagés. Moins chers que les stationnements souterrains, ils remplacent avantageusement les stationnements de surface en minimisant l’espace occupé. On en voit de plus en plus d’exemples bien conçus, qui s’intègrent à la trame urbaine et sont prévus pour pouvoir éventuellement être transformés en logements. Si la construction de stationnements étagés permet de gagner une piste cyclable, pourquoi pas?
Troisième approche: mettre en place une gestion serrée du stationnement, pour réduire le nombre de cases. Mutualiser le stationnement et enlever les normes minimales, par exemple. On construit toujours trop de stationnements, notamment dans les zones commerciales. Si on acceptait de le partager ou tout simplement de ne pas le rendre obligatoire, on avancerait beaucoup.
Quatrième méthode, et non la moindre: donner une valeur économique au stationnement. Par la tarification, mais aussi par une taxe sur chaque case ou en fonction de la surface imperméabilisée. Les coûts du stationnement sont actuellement largement externalisés; une très mauvaise pratique économique.
Ultime solution et la plus structurante, bien sûr: réduire la demande à la source en recommençant à construire la ville des courtes distances, avec des services de proximité accessibles à pied et un réseau structurant de transport collectif pour les plus longues distances.
Limiter la place que prend le stationnement est un programme difficile, les enjeux en sont autant économiques qu’émotifs. Mais j’ai de plus en plus la conviction que c’est en osant nommer le problème et s’y attaquer de manière systématique que nous pourrons enfin faire tomber le principal obstacle vers des collectivités plus viables.