Par : Christian Savard
Au lendemain des inondations de ce printemps, mon réseau était unanime: il y avait urgence à mieux gérer un risque que nous avions trop négligé. Aussi bien dans les discussions privées que sur les réseaux sociaux, tout le monde appelait à prendre acte de notre vulnérabilité, notamment dans un contexte de changements climatiques, et à se montrer plus ferme, que ce soit face au développement ou à la reconstruction dans les zones inondables. De l’avis général, ce que nous avions fait par le passé était inacceptable et il fallait y mettre fin.
Le gouvernement a entendu cet appel à la responsabilité et à la prudence, et institué par décret une zone d’intervention spéciale (ZIS) où s’exerce un moratoire sur la construction de nouveaux bâtiments, mais aussi la reconstruction des bâtiments affectés par les récentes inondations. Il s’est pour cela prévalu des articles 158 et 159 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme en vue de « résoudre un problème d’aménagement ou d’environnement dont l’urgence ou la gravité justifie, de l’avis du gouvernement, une intervention ». Un geste fort et responsable.
Cette mesure est transitoire: elle vise à se donner le temps de réfléchir au devenir des territoires concernés. Le développement n’est « gelé » dans la ZIS que le temps de préciser le risque, d’évaluer les perspectives, de consulter les experts et les parties prenantes et de définir des balises pour la suite des choses. Bref, on s’est donné les moyens d’élaborer des politiques publiques dans les règles de l’art.
Depuis cette décision courageuse du gouvernement, le vent semble avoir tourné. Municipalités et citoyens se plaignent d’une trop grande contrainte et accusent le gouvernement d’avoir bâclé le dossier. Je ne suis pas d’accord.
Pendant des décennies, on a mal géré la construction et l'urbanisation aux abords du fleuve et de nos rivières. À chaque inondation, l’État ramasse la facture. Avec les inondations de 2017 et 2019, on a réalisé que ce genre d'événement risque de survenir plus souvent: la situation ne peut plus durer. J’éprouve une sincère empathie pour nos concitoyens qui vivent de réelles catastrophes humaines. Mais nous ne pouvons nous permettre de nous laisser submerger par ce désarroi. Continuer à répéter les erreurs du passé n'est plus envisageable. Il faut un nouveau plan de match, de nouvelles règles.
Mais pour pouvoir mettre en place ce nouveau plan de match dans un avenir rapproché, la période transitoire est indispensable. Il faut en passer par un moratoire strict. Sinon, chacun, individu ou municipalité, va se précipiter pour bénéficier des conditions de l’ancien système et obtenir des permis avant l’instauration de règles qui pourraient s’avérer plus contraignantes.
La ZIS répond à cette nécessité de gel temporaire. C'est normal que la zone déterminée soit large et imparfaite: c’est une mesure transitoire d’urgence qui vise à ne rien échapper. Le risque d’inondation étant une menace malheureusement encore trop mal documentée, par mesure de précaution, le décret devait venir avant et les ajustements, ensuite.
Oui, cela cause des inconvénients à plusieurs personnes. Il faudra donc être diligent pour sortir rapidement du régime transitoire, mais on ne peut pas réparer des décennies de mauvaise planification en deux semaines.
Car le plus dur reste à venir: définir les critères d’un nouveau régime de prévention et de gestion des risques.
Je ne suis pas un partisan de l’abandon intégral des milieux actuellement construits en zones inondables. Pour des raisons économiques, patrimoniales et même environnementales, on va sans doute estimer que certains secteurs doivent être mieux protégés, ou aménagés autrement, mais préservés. Où et comment? Le décider est un immense défi, qui concerne malheureusement un très grand nombre de personnes et de collectivités. C’est donc très sage de s’être donné plusieurs mois pour y réfléchir.
Chose certaine, on ne peut pas dire qu’il faut arrêter de se développer en zone inondable au printemps et, dès que le sol est sec, reprocher trop de prudence aux autorités. Il fallait agir et il fallait agir vite.
Prendre des décisions difficiles, même temporaires, ça génère moins d’encouragements que de protestations, surtout quand la crise immédiate est passée. Tout le monde est d’accord pour limiter les risques, jusqu’à ce que ça empiète sur son propre désir de construire! C’est à ce moment-là qu’il faut que la voix des experts se fasse entendre. Sinon, nous allons retomber dans les ornières du laisser-aller, jusqu’à la prochaine crue.
Pour une fois qu’on ose se donner les moyens d’agir de façon responsable, applaudissons le courage du gouvernement et consacrons notre énergie à nous donner une vision pour la suite.