Les anciens terrains de golf sont des espaces verts. Mais sont-ils des milieux naturels ou plutôt des sites paysagers aux sols artificialisés? Doivent-ils être protégés intégralement et restaurés, ou plutôt accueillir la croissance urbaine ? Cela dépend de leur localisation, mais aussi des autres lieux prévus pour accueillir la croissance urbaine.
Pour tendre vers des collectivités viables, la population croissante doit être accueillie dans les sites à plus faible impact environnemental, à proximité des activités existantes et des réseaux structurants de transport en commun, de même qu’en évitant de sacrifier les milieux naturels et agricoles. Mais qu’en est-il des golfs ?
Un attachement fort à ces espaces verts
La requalification des golfs, dont plusieurs sont en perte de vitesse, fait débat. Ces espaces ouverts, généralement de propriété privée, ont fait l’objet d’une appropriation par la population pour des activités récréatives, notamment l’hiver. Ils contribuent à l’attrait des milieux environnants. Les voisins de ces golfs, et la population en général, sont fortement attachés à ces îlots de verdure où se trouvent souvent de majestueux arbres matures et, dans certains cas, des milieux humides ainsi qu’une flore et une faune d’intérêt. Ainsi, leur transformation en parcs publics et permanents est l’option généralement privilégiée par les riverains et autres usagers. Sans compter que, au-delà des avantages qui peuvent en être tirés localement, ces espaces verts peuvent contribuer à accroître les connectivités écologiques et l’indice de canopée urbaine à l’échelle régionale.
L’accès à une nature de proximité, partout dans la ville
La transformation des golfs en vastes parcs pose la question de la stratégie privilégiée par les municipalités pour assurer l’accès de la population à une nature de proximité. En effet, contrairement aux grands parcs urbains de la planète, les golfs du Québec sont rarement bordés d’une forte densité d’occupation, réduisant le nombre de bénéficiaires immédiats de cette nature au quotidien.
Cela pose également la question des moyens à la disposition des municipalités pour parvenir à leurs fins. En effet, l’achat des golfs, le maintien intégral de leur paysage humanisé ou le rétablissement de leurs qualités écologiques impliquent des dépenses significatives. Les investissements nécessaires se feront-ils au détriment du maintien ou de l’aménagement d’espaces verts dans d’autres quartiers, et facilement accessibles à pied ou à vélo pour leurs résidents?
Les moyens étant limités, des choix stratégiques devront être faits. Une planification urbanistique à long terme est une façon, pour les municipalités, de réfléchir au devenir de ces golfs avant que leur fermeture ne survienne, et de se doter des moyens pour réagir adéquatement lorsque l’occasion se présentera. Une réforme de la loi sur l’expropriation pourrait aussi être une avenue à explorer, afin de permettre aux municipalités de protéger davantage de milieux naturels d’intérêt, mais aussi d’assurer une localisation plus optimale des espaces et des équipements publics à moindre coût.
Préserver les golfs pour protéger l’environnement : des nuances à apporter
Vouloir protéger un ancien terrain de golf est une intention légitime de la part d’une municipalité. Décider de le protéger dans son intégralité au nom de l’environnement nécessite toutefois d’être questionné selon différentes perspectives.
Tout d’abord, les golfs ne sont pas automatiquement des milieux naturels d’intérêt écologique, du moins pas dans leur entièreté, comme en témoigne souvent le gazon bien entretenu, et parfois même arrosé de pesticides, qui y domine. Des efforts de requalification peuvent néanmoins leur redonner des qualités écologiques intéressantes.
Rappelons ensuite que, d’ici 2031, le Québec accueillera 240 000 nouveaux ménages, dont 80% se concentreront dans les grandes régions urbaines du Québec (ISQ, 2019). C’est donc autant de nouveaux logements qui devront être construits en 10 ans. Or, chaque ménage est, compte tenu de ses déplacements motorisés, une source de gaz à effet de serre et de pollution diffuse. La localisation de chacun d’entre eux a donc le potentiel d’alléger ou d’aggraver notre bilan carbone et notre empreinte sur les espaces verts intacts ou moins artificialisés. Invoquer le combat environnemental pour défendre un golf est donc beaucoup plus délicat qu’un combat contre un grand pollueur unique.
Tendre vers des collectivités viables, c’est localiser les nouveaux logements de manière à raccourcir les distances entre les nouveaux logements et les destinations (concentration d’emplois et de commerces), de même qu’entre ces nouveaux logements et les points d’accès aux réseaux structurants de transport en commun. Sous cet angle, certains golfs, qui occupent un emplacement très stratégique au sein des régions métropolitaines, méritent d’être redéveloppés; d’autres, dont ceux situés à l’extérieur des périmètres d’urbanisation, ne présentent pas de tels atouts, et ne devraient tout simplement pas être urbanisés.
Préserver ou développer ne sont pas les deux seuls choix
Comme dans tout débat autour de la fabrique de la ville, les impacts locaux et régionaux des choix d’aménagement peuvent paraître contradictoires. Par exemple, la perte d’accès à une nature de proximité d’un côté, et la perte de l’occasion d’offrir aux familles des logements dont la localisation permet de soutenir un mode de vie sobre en carbone de l’autre. Positions irréconciliables? Nous croyons que non.
Repenser une partie de l’espace occupé actuellement par certains golfs, afin d’y ériger un écoquartier, soit un redéveloppement exemplaire qui contribue à renforcer la structure urbaine, peut permettre à la fois de loger davantage de ménages en une localisation stratégique, de donner une place de choix à la nature dans notre environnement immédiat, et d’assurer sa mise en réseau à l’échelle du quartier, de la ville et de la région. Urbaniser en partie un ancien golf peut aussi éviter des coûts supplémentaires en infrastructures, en optimisant les réseaux existants: rues, égout, aqueduc.
Mettre à profit le territoire occupé par un ancien golf peut permettre, en contrepartie, de protéger des milieux naturels vierges de l'urbanisation qui risquerait, sans mesure de protection, de s'y étendre. Or, protéger les milieux naturels périphériques, restés intacts ou moins artificialisés, est une nécessité.
Préserver une part importante des arbres matures et des autres éléments d’intérêt écologique d’un ancien golf, et y offrir des lieux de loisirs et de socialisation, est possible. Procéder à une densification verte de certains anciens golfs pour atteindre simultanément ces divers objectifs est une solution à envisager sérieusement.
Les golfs : la pointe de l’iceberg des transformations urbaines à venir
Bref, la question de transformer les anciens terrains de golf en parc ou en quartier en cache une plus générale : où et comment devrons-nous reconstruire la ville sur elle-même?
Le développement urbain durable passe par des transformations majeures de nos quartiers… et on ne fera pas d’omelette sans casser d'œufs. La fin de l’étalement urbain amorce l’ère de la consolidation massive. Celle-ci bousculera nos habitudes, que ce soit le terrain de golf converti en écoquartier, le bungalow converti en triplex, le couvent converti en logements abordables, l’autoroute convertie en boulevard urbain bordé d’un quartier complet à forte densité.
Le débat autour des golfs constitue une opportunité que les acteurs de la densification devraient saisir. Une fois intéressés par ces questions, les citoyens d’abord inquiets pourront être mobilisés pour pousser la conversation plus loin et participer activement à la réflexion sur comment verdir et densifier nos milieux de vie. Cette conversation demandera transparence et respect de toutes les parties. Passer d’une logique d’opposition à une dynamique de collaboration sur les transformations urbaines est dorénavant un impératif climatique, qu’on le veuille ou non. C’est la responsabilité de tous, municipalités, citoyens et promoteurs, de contribuer au dialogue constructif sur la densification au Québec.
Note : Ce texte porte sur la question des anciens golfs partout au Québec. Néanmoins, par souci de transparence, notez que Vivre en Ville a été appelé, depuis 2014, à réfléchir au devenir possible d’anciens golfs, dont ceux de Brossard et de Rosemère, en offrant de l'accompagnement et du conseil aux municipalités et aux promoteurs. Si nous l’avons fait, c’est que nous avons analysé, de la manière qu’on explique plus haut, que la conversion de golfs pour accueillir un certain développement immobilier a parfois plus d’impacts environnementaux positifs que négatifs. Ces exercices nous ont permis d’explorer concrètement la manière de concilier habitats humains et espaces verts naturels ou artificialisés. Au moment d'écrire cet article, un mandat d'accompagnement du propriétaire du terrain de l'ancien golf de Rosemère, visant à évaluer les caractéristiques de son projet à la lumière des principes et des balises énoncés dans objectifecoquartiers.org, était en cours. Ce mandat a pris fin en mars 2021.