Réglons une chose tout de suite, quand on parle de densification, il y a bien sûr des nuances à apporter. Mais en matière de transformation urbaine, les nuances servent trop souvent de prétexte pour ne rien faire. Je vais donc, pour commencer, me permettre d’être assez direct: aujourd’hui, sauf exception, s’opposer à la densification revient à se placer dans le camp de la destruction de la nature. C’est être pour les changements climatiques. C’est être contre le logement abordable.
Pourtant, entre manque de volonté et revendication des droits acquis, la densification peine encore à se frayer un chemin dans les pratiques de nos collectivités.
Le Québec comptera, dans un an, 36 000 ménages de plus. On les installe où? Toujours plus loin? À quel prix environnemental? Avec quelles conséquences sur les temps de déplacement, le manque de services, le budget transport?
Bien sûr, il n’est pas question de densifier n’importe où. Installer plus de familles dans des milieux éloignés des emplois, des commerces et du transport en commun aurait peu d’effets positifs. Mais les quartiers proches des services, propices aux déplacements à pied, à vélo et à un transport collectif compétitif, où le potentiel de réduction du bilan carbone est bon, doivent pour la plupart être densifiés si nous voulons sortir des crises environnementale et sociale.
Or, ces derniers temps, plusieurs villes semblent prendre le contrepied de cette stratégie de croissance à faible impact climatique, en réduisant les densités autorisées dans les milieux qu’il faudrait consolider en priorité. À Montréal-Est, par exemple, le conseil municipal veut réduire de 8 à 4 le nombre de logements permis dans un immeuble sur la majeure partie du territoire. À Saint-Bruno, la Ville a décidé d’interdire la construction de multilogements dans plusieurs secteurs, « notamment au pourtour du centre-ville ».
Pourquoi la volonté d’empêcher le redéveloppement dans les quartiers existants est-elle un problème?
D’abord, pour des raisons environnementales. « Construire compact = nature intacte ». Le seul moyen pour nos villes et nos villages d’accueillir plus de personnes sans que ce soit au détriment des milieux naturels et des terres agricoles, c’est de densifier les milieux déjà urbanisés. Plus on s’installe loin des emplois, des services et du transport en commun, plus on alourdit notre empreinte carbone (et plus on coûte cher en infrastructures et en services publics). Le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat appelle ainsi à « créer des villes compactes et propices à la marche ».
Or, le Québec est en croissance démographique. Dans la prochaine décennie, ce sont près de 250 000 nouveaux ménages que nos collectivités devront accueillir. Il nous faut donc construire près de 250 000 logements. Je répète: d’ici 2032, il nous faut construire, en moyenne, 25 000 logements chaque année. On les met où?
Nous avons deux choix: soit densifier les milieux déjà urbanisés, soit construire sur des milieux naturels et des terres agricoles. À chaque fois qu’on refuse d’intégrer des logements dans un quartier bien positionné, il faut se rappeler qu’il va se construire, en échange, des maisons en milieu périurbain éloigné. Loin des yeux, loin du cœur, loin des réglementations contraignantes et près, tout près des rainettes faux-grillon et autres espèces menacées.
Les obstacles que placent certaines villes devant la densification aggravent un autre problème, social celui-là: la crise du logement. C’est la sous-offre de logements qui cause l’essentiel de l’augmentation des prix en habitation. Pour résoudre durablement ce problème, il faut construire plus, plus vite. Les obstacles à la construction de logements, au premier rang desquels un zonage de trop faible densité, aggravent le décalage entre l’offre et la demande. Construire des logements sociaux et communautaires fait partie de la réponse, mais il faut aussi construire davantage de logements, tout simplement.
Empêcher la densification des quartiers agréables, c’est empêcher des jeunes, des familles, des personnes âgées de profiter d’un environnement où les commerces, les services publics, les parcs sont à portée de main. C’est réserver cette qualité de vie à un petit nombre de ménages privilégiés par l’argent ou par leur présence historique. C’est condamner plus de personnes à la coûteuse dépendance à l’automobile. C’est injuste.
Ceux qui vont faire les frais de ces décisions sont, comme d’habitude, les plus pauvres. Celles et ceux qui ne disposent pas de patrimoine ou de revenus suffisants auront, au mieux, le choix entre mal se loger et subir de longs déplacements. Ce n’est pas acceptable. Chez nos voisins américains, le zonage unifamilial est d’ailleurs considéré comme une pratique discriminatoire.
Il n’y a qu’une seule façon d’accueillir la croissance démographique sans causer notre perte, tout en s’attaquant à la fois à la crise du logement et à la crise climatique: c’est d’appuyer sur l’accélérateur pour densifier là où l’empreinte carbone est déjà faible, et là où il est possible de l’alléger à moindre coût.
Quand on parle de densifier, on parle de quoi? Des tours ou des triplex?
Ma préférence irait à autoriser de plein droit, partout, des bâtiments de trois étages, pour permettre une densification à échelle humaine. C’est le choix qu’a fait Minneapolis dans un objectif de justice sociale et de protection de l’environnement: duplex ou triplex autorisés partout.
De plus grandes hauteurs sont aussi envisageables. La Nouvelle-Zélande, qui a récemment interdit le zonage unifamilial dans les plus grandes villes, a aussi autorisé la construction jusqu’à six étages dans les secteurs les plus propices, notamment aux abords des réseaux structurants de transport collectif. Dans certains contextes, lorsque le milieu le permet et que les besoins le requièrent, la construction de tours peut faire partie de la solution.
La Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire, attendue pour ce printemps, est une excellente occasion de poser les bases d’un régime d’aménagement à faible impact climatique et à impact social positif.
Quand on refuse la densification, c’est souvent dans l’objectif de préserver le caractère d’un quartier. Cet argument peut être pertinent dans certains contextes précis. Mais de manière générale, figer l’existant, c’est faire fi de l’évolution normale d’une ville, qui est souvent incrémentale.
Dans de rares contextes, notamment pour des secteurs patrimoniaux bien précis, maintenir un zonage unifamilial peut se justifier. Mais ce sont des exceptions. Très souvent, s’opposer à la densification, cela revient à protéger les privilèges de quelques-uns sans se soucier des besoins de tous.
Nous faisons face à une urgence environnementale et à une urgence sociale. Densifier au bon endroit est une clé de la réponse à chacune de ces crises. Se battre contre la densification quand le milieu est propice, c’est refuser de faire partie de cette solution de sortie de crise.