Le 1er juillet dernier, en pleine « fête » du déménagement (qui, pour certains, est loin d’être une fête, et pour d’autres, l’occasion de célébrer l’aboutissement de ferventes recherches d’un logement), un article de Suzanne Colpron de La Presse suggère qu’il n’existe pas forcément de pénurie de logements sur l’île de Montréal - plutôt une crise de l’abordabilité.
Avant d’aller plus loin, décortiquons brièvement les données sur lesquelles se fonde cet argumentaire. On réfère notamment à une étude menée en avril dernier par la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ) auprès de ses membres¹, selon laquelle le taux d’inoccupation à Montréal se situait à 4,7 % en avril 2022.
En premier lieu, les membres de la CORPIQ ne représentent un échantillon ni probabiliste, ni inintéressé. D’une part, seulement une partie de tous les propriétaires montréalais sont membres de la CORPIQ, et de l’autre, ayant pour mission de faire valoir les intérêts des propriétaires et de soutenir ses membres dans l’appréciation de leurs actifs immobiliers, la CORPIQ possède un certain bassin de propriétaires pour lesquels les intérêts financiers priment. Or, l’une des façons les plus notoires de faire fructifier son placement dans l’immobilier locatif est… de laisser les unités vides! En effet, comme les hausses de loyers entre locataires peuvent être ajustées par le Tribunal administratif du logement, certains propriétaires choisissent de laisser leurs unités vacantes pendant 12 mois après le départ d’un locataire afin de pouvoir fixer le prix du prochain loyer comme bon leur semble.
Il est curieux de rapporter que le taux d’inoccupation parmi cet échantillon indique qu’il n’y a pas de pénurie de logements: non seulement la CORPIQ ne détient pas tout le parc locatif, ces unités ne sont peut-être même pas à louer!
En complément à l’étude réalisée par la CORPIQ, l’équipe de La Presse a identifié 679 unités mises en location sur les sites LesPAC, Kijiji et Centris. Il importe de mettre ces chiffres en perspective: cela représente 0,07 % du stock locatif total dans l'agglomération de Montréal. Comment peut-on observer ces chiffres et les publier sous les mots « À Montréal, la crise du logement n’est donc pas une crise de disponibilité [...] »? C’est d’ailleurs sans égard à l’énormité du territoire: ces quelques centaines d’unités sont dispersées dans un territoire de près de 500 km². Il va sans dire que ces appartements en location ne conviennent pas forcément aux besoins des personnes à la recherche de logement près de leurs emplois, services et familles, ou que certaines unités en particulier pourraient même exiger des occupants de se procurer une nouvelle voiture pour le travail. On ne parle même pas encore du prix affiché!
Une réelle abondance pour une réelle mobilité résidentielle
Mais même si le taux d'inoccupation de 4,7 % était bien réel sur le territoire montréalais, la situation demeure inquiétante. On évoque souvent le 3 % comme point de bascule vers une crise de logements, ce dont nous devons nous éloigner au maximum. En fait, les données empiriques démontrent que le marché immobilier ne bascule en faveur des locataires qu’à partir d’un taux de 10% d'inoccupation². Un taux aussi bas que 4,7% confirme que la pression demeure toujours sur les épaules des locataires.
Dans la région montréalaise, mais également sur l’ensemble du territoire québécois, nous sommes à des lieux d’un surplus de logements, et ce de manière nettement plus prononcée pour ce qui est des logements abordables et hors marché. La Société canadienne d’hypothèque et de logement estime qu’il faudra construire 620 000 unités d’habitation au Québec d’ici 2030.
La construction de logements au Québec doit se poursuivre afin que les locataires bénéficient équitablement du droit à un logement abordable qui saura répondre adéquatement à leurs besoins. C’est notamment ce que nous plaiderons le 26 août lors du Sommet sur l’habitation organisé par les villes de Longueuil et de Laval!