Mieux construire nos bâtiments, nos rues, nos quartiers, nos agglomérations

La PNAAT, qu’ossa donne?

Par: Christian Savard
09 février 2022

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Photo: Francis Vachon Le Devoir

On est dans le dernier droit pour l’élaboration de la future Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire. Son adoption est prévue ce printemps. Après une année de consultations internes et externes, la vision et le plan d’action sont en train de prendre forme. Parler de fébrilité, ici, serait un euphémisme: c’est un véritable point tournant qui est attendu. 

Le 27 janvier dernier, le Sommet québécois de l’aménagement du territoire a réuni plus de 500 personnes sur le thème Le courage d’agir. Les attentes sont élevées. 

Il y a près de sept ans, Vivre en Ville participait à la création de l’alliance ARIANE, qui a fait de l’adoption d’une politique son principal cheval de bataille. Pour les membres de l’alliance ARIANE, et pour les milliers de signataires de sa déclaration de principe, c’est une nécessité pour établir une vision partagée de l’aménagement du territoire québécois et assurer la cohérence des actions dans ce domaine. 

Mais, concrètement, pour paraphraser Yvon Deschamps: une politique nationale d’aménagement du territoire, qu’ossa donne?

Il faut d’abord rappeler que chaque jour, on prend des décisions qui vont s’ancrer durablement sur le territoire. Leurs conséquences, positives et négatives, vont se faire sentir pendant des décennies et souvent des générations. Or, seulement une petite partie de ces décisions sont prises en toute connaissance de cause. Beaucoup d’organisations, notamment publiques, font de l’aménagement du territoire sans le savoir – et sans bien mesurer les effets de leurs actions. L’adoption d’une politique nationale placera l'aménagement du territoire comme priorité et obligera chaque acteur à tenir compte de la vision poursuivie. 

Si on avait déjà eu une politique nationale d’aménagement, quelles décisions auraient été changées? 

Ça revient souvent dans nos discussions: « On n’aurait pas pu faire ça si la politique était déjà adoptée! ». La série noire de l’aménagement présentait plusieurs épisodes à reléguer au passé. Vous en connaissez sûrement d’autres. Je vous livre ici quelques exemples récents. 

Des investissements publics accélérés sans vision d’ensemble

Automne 2020: le gouvernement du Québec se lance dans une frénésie de construction d’équipements publics dans l’objectif, louable, de soutenir l’économie dans le contexte pandémique. Le projet de loi 66 vise à accélérer la prise de décision, ce qui peut se justifier dans ce contexte. Toutefois, la longue liste de projets permet aussi de réaliser qu’on manque cruellement, à cet instant, de vision en aménagement. 

L’argent public alloué à la relance aurait pu être mis au service de la construction du Québec de demain. Faute de vision, il servira en bonne partie à des projets routiers, dont plusieurs vont stimuler l’étalement urbain sur des milieux naturels et agricoles, alors qu’y mettre fin est la priorité mise de l’avant par la future politique d’aménagement. Des écoles et des Maisons des aînés vont aussi se construire en accéléré, sans toujours prendre le temps de réfléchir sur leur localisation idéale, d’autant plus que le projet de loi court-circuite des articles de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme et même l’examen des projets par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement. 

Pour pouvoir travailler vite, il faut avoir une vision préalable. Si la politique nationale d’aménagement avait été adoptée avant la pandémie, les importants budgets dégagés auraient pu contribuer à la mise en œuvre de sa vision. L’aménagement du territoire se fait aussi à coup de choix budgétaires: nous ne pouvons pas nous permettre de rater des occasions. 

(Encore) une SAQ qui quitte le centre-ville 

Printemps 2021: Alma n’aura plus de SAQ au centre-ville au grand dam de la population et des commerçants locaux. Ce n’est pas la première fois que la société d’État prend une décision d’affaires qui va à l’encontre des priorités locales. Il y a 10 ans déjà, trois maires signaient avec Vivre en Ville une lettre ouverte aux dirigeants de la SAQ pour l’appeler à en faire davantage, pour le développement durable, que de bannir les sacs plastique de ses succursales. 

Il faut le rappeler: la SAQ a un monopole. Ses clients la suivent. Les autres commerçants suivent ses clients. Une SAQ qui part, c’est un centre-ville qui se dévitalise. Pourtant, assurer la vitalité des centres-villes est aussi une priorité nationale, particulièrement en situation de pandémie. 

La future politique nationale d’aménagement doit faire du renforcement des centres-villes une priorité. Cela impliquera que chaque décision gouvernementale soit analysée en fonction de ses conséquences sur les cœurs de villes et de villages des collectivités québécoises. Y compris les décisions de la SAQ. 

Modifier la protection du territoire agricole sans intention clairement formulée

Automne 2021: la ministre déléguée à l’Économie dépose un projet de loi omnibus visant « principalement l’allègement du fardeau administratif des entreprises ». Surprise: le monde agricole y découvre des modifications importantes en matière de morcellement des terres. Plusieurs organisations s’élèvent contre la révision, en catimini, du cadre de protection du territoire agricole, un fleuron des politiques publiques en matière de gestion du territoire. Les préoccupations soulevées par le milieu amènent le ministre de l’Agriculture à préciser les motivations derrière la réforme, et à y apporter quelques changements. 

Le territoire agricole est un patrimoine collectif d’intérêt supérieur, soumis à une forte pression. Modifier son cadre de protection peut s’avérer pertinent, mais cela devrait se faire dans un contexte de concertation et d’analyse des impacts anticipés des changements envisagés. Dans le cas du projet de loi 103, les effets potentiels sur l’usage à long terme du territoire n’ont pas été considérés à la hauteur de l’enjeu. 

Alors que le Québec vise à renforcer son autonomie alimentaire, la future politique nationale doit réaffirmer le caractère prioritaire de la protection du territoire agricole, trop longtemps considéré comme des espaces en attente de développement. 

La destruction annoncée d’une école patrimoniale

Hiver 2022: le collège Saint-Damien-de-Buckland sera démoli, car le rénover coûterait plus cher que sa démolition. Ces dernières années, de nombreux bâtiments patrimoniaux ont ainsi disparu de nos villes et de nos villages, faute d’entretien suffisant, par manque de considération ou d’imagination. 

Au Québec, 30% des déchets éliminés proviennent des chantiers de construction, de rénovation et de démolition. Avant d’opter pour la démolition d’un bâtiment, il faut peser les avantages et les inconvénients, pas seulement financiers. Encore plus quand il s’agit d’un bâtiment patrimonial, qui contribue à l’identité locale. À Saint-Damien-de-Buckland, le collège accueillait aussi de nombreux équipements collectifs qui devront être relocalisés. À la perte patrimoniale s’ajoute une certaine désarticulation de la communauté. 

La future politique nationale, qui combine architecture et aménagement du territoire, doit marquer un virage dans la façon dont nous préservons et mettons en valeur notre patrimoine bâti. Chaque ministère pourra ainsi mettre ses décisions au service de la vision collective. 

 

Est-il possible de prendre des décisions raisonnées, en l’absence de politique nationale? Bien sûr, et de nombreux acteurs le font, dans plusieurs collectivités québécoises. Mais pour que l’aménagement durable du territoire devienne la norme et non pas l’exception, il est impératif d’avoir un plan d’ensemble, de mettre en place des processus « garde-fous » qui assureront le changement et de se donner les moyens nécessaires pour réaliser la vision souhaitée. 

Le leadership et l'exemplarité de l’État, l’appui aux municipalités, l’ajustement du cadre législatif, fiscal et budgétaire aux priorités visées: voici des mesures incontournables qui devront se retrouver dans la politique attendue. 

Regretter les occasions manquées, c’est trop souvent le quotidien des personnes impliquées dans la construction de nos collectivités. Ce n’est pas un programme professionnel très alléchant. Construire le futur avec passion, engagement et créativité, c’est beaucoup plus motivant. Pour cela, nous avons besoin d’un « Désormais ».

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