La « grande conversation nationale sur l’aménagement du territoire » lancée il y a 18 mois par Andrée Laforest vient de parvenir à une première étape, avec l’adoption d’une vision stratégique. Nous sommes nombreux à avoir regretté l’absence de mesures concrètes dans le document présenté par les ministres de la Culture et des Affaires municipales.
Et c’est vrai: sans plan d’action concret, cette vision pourrait fort bien se traduire par le statu quo. Le constat, plutôt lucide, fait par le gouvernement de la nécessité de changer notre façon d’organiser nos milieux de vie ne suffira pas, à lui tout seul, à opérer un virage. Pour cela, il va falloir des décisions courageuses, de l’argent et de la cohérence.
Mais si on regarde les choses sous un angle positif et avec espoir, il faut reconnaître que la vision stratégique de cette première Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire est porteuse d’un important potentiel de changement. En voici quelques exemples.
En premier lieu, soulignons l’affirmation claire, dans la vision stratégique, que l’étalement urbain est un mode de développement qui nous mène dans le mur. D’abord, parce qu’il nous coûte trop cher: impossible d’assumer le coût des infrastructures publiques lorsque les densités sont trop faibles (p. 20). Ensuite, parce qu’il se fait au détriment du territoire agricole, des milieux naturels et de la biodiversité (p. 20). Enfin, parce qu’il nuit à la vitalité des cœurs de nos collectivités, le lieu de notre vivre-ensemble (p. 22).
La vision stratégique établit clairement l’urgence de mieux planifier la localisation des activités, aussi bien publiques que privées. Une localisation « optimale » des activités économiques apparaît nécessaire, autant pour assurer la vitalité des cœurs de collectivités que pour mieux mettre à profit les parcs industriels (p. 24). La vision insiste également sur l’exemplarité dont doit faire preuve l’État dans la localisation des édifices et services publics, une priorité pour favoriser les déplacements en transports collectifs et actifs (p. 26). Des services publics plus accessibles sont aussi la clé d’une société plus équitable (p. 17). Nous nous attendons d’ailleurs à ce que les décisions gouvernementales appliquent dès maintenant les principes de la Politique.
La vision stratégique reconnaît pleinement le rôle primordial des centres-villes et noyaux villageois dans la prospérité et la résilience des collectivités. Au cœur de l’identité et de la culture des communautés, les centres-villes sont présentés comme un moteur économique à préserver (p. 22), et comme un milieu de vie et de rencontre essentiel (p. 15). Leur faible empreinte carbone en fait aussi un atout environnemental.
La vision stratégique affirme la nécessité de densifier en assumant qu’il faut « accroître la densité d'occupation du sol et promouvoir des formes compactes d’aménagement à proximité des infrastructures et des réseaux publics à l’échelle des milieux tant ruraux qu’urbains » (p. 21). Cette densification est une des clés de l’augmentation de l’offre de logements en vue d’en soutenir l’abordabilité (p. 18). Une stratégie qui permettra de s’attaquer d’un même élan à l’urgence climatique et à la crise du logement.
Enfin, la vision stratégique affirme la nécessité de soutenir les changements attendus par des mesures budgétaires, s’engageant à faire état « desinvestissements qui seront nécessaires pour atteindre nos objectifs » (p. 31). C’est en effet une priorité de soutenir les collectivités prêtes à changer leurs pratiques et de rendre écoconditionnels l’ensemble des programmes gouvernementaux.
Ainsi, la vision stratégique met de l’avant des priorités véritablement structurantes pour le devenir des collectivités.
Mais la principale qualité de cette vision stratégique est d’exister enfin. Certes, la plupart des orientations et enjeux qu’elle contient étaient déjà formulés dans les orientations gouvernementales en aménagement du territoire ou dans divers documents ministériels. Mais c’est la première fois qu’on leur donne le statut de Politique nationale. La première fois que deux ministres en font une présentation officielle, tout en s’engageant à ce que le gouvernement adopte, d’ici l’hiver 2023, un plan de mise en œuvre (p. 30).
De plus, cette vision a été établie en concertation avec des milliers d’acteurs, partout au Québec. Elle a mobilisé plus de 10 ministères, dont plusieurs n’avaient peut-être pas idée à quel point l’aménagement du territoire est lié à leurs pratiques. Toute cette réflexion collective a commencé à changer les manières de faire et permettra, peut-être, de briser les silos et de cesser de défaire d’une main ce qu’on tente d’organiser de l’autre.
La vision stratégique présentée par l’État est alléchante et donne le goût de s’y mettre sans attendre. Le plan de mise en œuvre est pourtant annoncé pour l’hiver 2023 seulement, ce qui en appelle à notre patience. Mais au moins, nous avons une date! Une chose est sûre: ce plan devra avoir des effets immédiats. Il ne peut pas se contenter de lancer des chantiers de révision de gouvernance et de fiscalité. Il doit avoir de l’impact au jour 1 de son adoption. Nous n’avons plus de temps à perdre: ce qui se construit aujourd’hui aura des conséquences pour des générations.
En s’engageant dans des travaux d’envergure, le gouvernement a commencé à faire de l’aménagement du territoire une priorité. Ces dernières semaines, il ne s’est pas passé une journée sans que l’aménagement fasse les manchettes des journaux. C’est déjà un succès!
Au cours des six prochains mois, nous serons là pour aider à bâtir un plan de mise en œuvre à la hauteur de l’ambition exprimée par cette vision stratégique.