Chronique par Samuel Pagé-Plouffe, conseiller à la direction générale - Affaires publiques
Nous avons bel et bien commencé à vivre avec les premières conséquences des changements climatiques.
Dans nos villes, les îlots de chaleur ont causé de graves problèmes de santé publique cet été.
Outre les canicules répétées, l'année dernière, c'est plus de 4000 Québécois qui ont été évacués de leur domicile en raison des inondations. Il paraît logique de ne pas reconstruire des résidences dans une zone inondable. Il faut plutôt protéger les rives, le littoral et les plaines inondables.
À la fois au cœur du problème et de la solution en environnement, l'aménagement du territoire et de nos milieux de vie doit être repensé.
Endiguer l'étalement urbain
Selon le professeur émérite au Département d'études urbaines et touristiques à l'ESG-UQAM Luc-Normand Tellier, en 10 ans, l'indice d'étalement de la région métropolitaine de Montréal a augmenté de plus de 10% à Montréal alors qu'il a légèrement baissé (-3%) à Toronto!
Aux grands maux, les grands moyens. En Ontario, le gouvernement a adopté dès 2006 un plan ambitieux de gestion de la croissance urbaine et une ceinture verte autour de la région élargie du Golden Horseshoe (Grand Toronto).
Freiner l'éparpillement des activités sur le territoire est certes une priorité à Montréal et à Québec, mais ce l'est également dans la plupart des autres régions. Peu importe où l'on habite, plus longs sont nos déplacements quotidiens en automobile, plus nos émissions de gaz à effet de serre sont importantes.
Plusieurs de nos villes et villages regorgent de terrains disponibles à l'intérieur des périmètres déjà urbanisés. Le développement urbain menace pourtant plusieurs milieux naturels qui nous rendent de précieux services. Règle générale, il faut les laisser intacts, voire les restaurer, ou à tout le moins compenser les pertes.
Endiguer l'étalement urbain devrait être un de nos grands objectifs collectifs.
La très bonne nouvelle de l'été
Au mois de juin, l'alliance ARIANE a déposé sa feuille de route vers une Politique nationale d'aménagement du territoire pour le Québec. Vaste coalition formée notamment d'écologistes, d'urbanistes, d'architectes, de gens d'affaires, d'experts en santé publique et de gardiens du patrimoine, ARIANE a multiplié les appuis depuis sa création en 2015.
Voici la très bonne nouvelle de l'été: jusqu'à présent, trois des quatre partis à l'Assemblée nationale (le PQ, la CAQ et QS) se sont montrés favorables à l'adoption d'une telle politique.
Le Parti québécois et Québec solidaire s'y sont formellement engagés alors que la Coalition avenir Québec a inclus l'idée d'une «Politique nationale de l'architecture et de l'aménagement» parmi ses grandes orientations.
Ne manque plus que l'appui du Parti libéral et l'alliance ARIANE a bon espoir de l'obtenir. Il faut dire que la vision énoncée dans la Politique de mobilité durable dévoilée ce printemps par le ministre Fortin s'appuie beaucoup sur l'aménagement du territoire. Sans stratégie forte en aménagement, les objectifs gouvernementaux, concernant entre autres la réduction des temps de déplacement, ne seront certainement pas atteints.
Un consensus transpartisan serait salutaire.
Il faut parfois savoir dépasser les intérêts partisans pour faire avancer de bonnes idées. En Ontario, le Plan de croissance avait été initié à l'époque par les progressistes-conservateurs qui constataient le gouffre financier de l'étalement urbain et la congestion qui s'empirait. Aujourd'hui, toutes les formations politiques y adhèrent et la ceinture verte est très populaire avec un taux d'appui de 85% auprès des Ontariens.
Il me semble que les Québécois aimeraient que leurs politiciens travaillent ensemble à un projet qui nous rendrait fiers. Bien sûr, une Politique nationale d'aménagement du territoire bouleverserait certaines façons de faire, mais on ne fait pas d'omelette sans casser d'œufs!
Rêver le territoire
C'est clair, l'aménagement du territoire et l'urbanisme sont au cœur de la lutte et de l'adaptation aux changements climatiques. Tout y passe : des pistes cyclables pour se déplacer sans polluer, à la protection des milieux humides et du territoire agricole, au verdissement des espaces publics pour atténuer les îlots de chaleur.
Mais une panoplie d'autres raisons justifie qu'on s'intéresse au territoire.
Dans leur essai Rêver le territoire publié au printemps dernier, Geneviève Dorval-Douville et Jean-François Gingras nous incitent à «embrasser ses particularités» (pensons notamment à l'hiver) et à nous donner «une vision partagée de son potentiel». Les auteurs appellent à mieux connecter les régions entre elles et à investir pour développer leurs spécificités et les faire connaître.
Il est vrai, comme le souligne l'essai, que le territoire nous définit autant que nous le façonnons. Aussi bien, donc, l'apprécier, en prendre soin et en être fier. Il s'agit d'ailleurs d'un repère identitaire on ne peut plus inclusif.
Soyons ambitieux pour cette Politique nationale d'aménagement du territoire à élaborer au-delà des frontières partisanes au cours de la prochaine législature. La vision à adopter doit contribuer à bâtir des quartiers à échelle humaine, propices au voisinage, à la diffusion des idées et de la culture. À dynamiser les noyaux villageois et à préserver le patrimoine naturel et bâti. À propager une architecture de qualité. À construire de belles écoles.
Je le réitère, cette Politique nationale a le potentiel d'être une grande réalisation collective et transpartisane. Le prochain gouvernement devra aller de l'avant.