Mieux construire nos bâtiments, nos rues, nos quartiers, nos agglomérations

La rentabilité ou l’abordabilité : le logement ne peut pas offrir les deux

06 décembre 2022

Quebec enneigé

Notre marché résidentiel s'appuie sur l’anticipation de l’augmentation des valeurs immobilières et cela mine tant l’abordabilité de l’entièreté des logements que les efforts publics déployés pour y remédier. 

L’anticipation de l’augmentation des valeurs immobilières motive, de manière diffuse sur notre territoire, le comportement de pratiquement tous les acteurs du marché résidentiel. Plusieurs en profitent. Un duplex acheté 200 000 $ au début des années 2000 vaut peut-être 1 000 000 $ en 2022. Le propriétaire empoche la plus-value, les revenus de taxes foncières augmentent pour la municipalité de même que le prêt hypothécaire de la banque au nouvel acquéreur. Ici, le vendeur n’est pas un spéculateur averti, et sans la moindre mauvaise intention, il est fort probable que le nouvel occupant attende les mêmes rendements. On signale ici et là les conditions difficiles que cela génère pour les premiers acheteurs, mais prenons-nous la juste mesure des répercussions de ces dynamiques sur l’ensemble du marché résidentiel ?  

Les loyers n’ont pas à être déterminés par les transactions immobilières

Le prix des logements locatifs et les efforts déployés pour les entretenir souffrent directement de ces conditions de marché. Deux dynamiques l’expliquent. D’une part, le revenu des ménages augmente beaucoup plus lentement que le prix des logements. D’autre part, le prix de vente d’un immeuble tient compte des loyers effectifs, mais également des revenus potentiels qu’on pourrait en tirer en les augmentant. On observe donc un découplage entre le prix des transactions des immeubles locatifs et le revenu des loyers. Ainsi, l’achat d’un plex, par exemple, pour bien des ménages dont le pouvoir d’achat recule, dépend de l’optimisation de son exploitation. Soit en réduisant les dépenses d’entretien, soit en augmentant les revenus et ce bien au-delà de ce qui est permis par la loi. En effet, la valeur médiane des plex, dans la région de Montréal, a augmenté de 57% dans les 5 dernières années alors que le Tribunal administratif du logement a autorisé des augmentations moyennes de 3,1% sur la même période. Plus encore, en 2020, on constate un taux de croissance médian de 41,5% des prix de revente rapide de plex (à l’intérieur de 12 mois) dans la Communauté Métropolitaine de Montréal. Dans ces conditions, les rénovations essentielles à la pérennité de notre stock locatif sont plutôt des opportunités de refiler le fardeau de l’hypothèque démesurée à des locataires, qui ne devraient pas avoir à porter le poids du prix de ventes d’immeubles déconnectés du montant de leurs loyers.  

L’augmentation du coût de l’immobilier gruge nos budgets alloués au logement à but non lucratif

Pratiquement tous les acteurs du milieu de l’habitation reconnaissent - avec des degrés d’intensité variables, mais tout de même – la nécessité d’accroître le nombre de logements à but non lucratif pour sortir de la crise de l’habitation. Or, trop peu soulignent la façon dont le rythme d’augmentation des valeurs immobilières entrave notre capacité collective à livrer ces projets. La portée des budgets que nous allouons à des programmes comme Accèslogis ou le Programme d'habitation abordable Québec (PHAQ) est nécessairement proportionnelle aux conditions de marché. À l’intérieur des dynamiques décrites ci-dessus, où on anticipe collectivement l’augmentation des valeurs immobilières, il coûte beaucoup plus cher en 2022 d’acquérir un terrain pour construire une coopérative d’habitation qu’il en coûtait en 2018. Si rien ne change, cela coûtera encore plus cher en 2025. Combien d’unités de logement sociaux et communautairesne seront pas construits en raison de ces bonds faramineux des valeurs immobilières ? Combien devrons-nous débourser collectivement pour combler le manque à gagner ? Autrement dit, en laissant aller le cours actuel du marché, où la valeur des propriétés privées augmente rapidement, nous faisons le choix de réduire l’efficacité du dollar investi dans des projets d’habitation à but non lucratif.

Ça commence par un premier pas

Un registre des loyers public et universel, administré avec diligence par le gouvernement provincial, représente un outil à faible coût pour maintenir une certaine cohérence entre les prix de vente des immeubles à logement et les revenus des loyers. On pourrait ainsi espérer aplatir la courbe d’augmentation des valeurs immobilières, ce qui faciliterait l’accès à la propriété aux petits acheteurs et assurerait un meilleur respect des conditions d’habitation des locataires. Le maintien de la clause f du bail à 5 ans apparaît également plus digeste dans la mesure où les variations purement marchandes exerceraient une moins grande pression sur d’éventuelles augmentations. Enfin, il s’agit d’une porte de sortie pour dépasser le débat sur l’effet de l’augmentation de l’offre résidentielle. Oui, il faut construire plus de logements. Oui, il faut adopter des leviers qui limitent l’augmentation des valeurs immobilières. Peut-être est-il temps de cesser de mettre dos à dos ces positions et de commencer à explorer leur complémentarité ? 

Partager cette page

Rester informé

Restez informés : en vous abonnant aux envois, vous recevrez régulièrement des informations sur nos activités.

S'abonner à nos envois

Devenir membre

Avec le soutien de ses membres individuels ou corporatifs, Vivre en Ville participe depuis 1995, au développement de collectivités viables partout au Québec. Devenez membre et associez-vous à notre mission.

Devenir membre