Les ressources investies en habitation sont loin d’être suffisantes. Nous pouvons toutefois faire beaucoup mieux avec les ressources existantes.
Pour dépasser la crise de l’habitation dans laquelle nous sommes, il faut impérativement diminuer les coûts du développement résidentiel pour une utilisation optimale des mises de fonds. Notre secteur d’habitation n’a pas, actuellement, la capacité de répondre à nos besoins dans les limites de nos moyens. L’improductivité du secteur résidentiel affaiblit l’efficacité des investissements, et joue un rôle important dans l’augmentation des prix. L’argent gaspillé par l’improductivité et l’imprévisibilité ne sort pas des poches des investisseurs et des développeurs. Ce sont bel et bien les acheteurs du produit final qui en font les frais.
Notre cadre réglementaire ingurgite nos ressources
Les coûts de réalisation d’un projet sont directement liés au temps passé en développement. Comme ces coûts sont ensuite transférés à l’acheteur au moment de la mise en vente ou en location, le processus au travers duquel passe le développement immobilier a une influence directe sur le prix plancher auquel les unités peuvent être mises en vente.
Cette dynamique ne serait pas si nuisible si les moyens dont nous disposions, individuellement et collectivement, étaient en mesure de suivre l’augmentation des prix. Or, il n’en est rien: ni les revenus des ménages, ni les sommes allouées au développement de logements à but non lucratif, ni les subventions accordées aux acheteurs et locataires ne sont en mesure d’essuyer la hausse de prix des unités neuves.
Un système incapable d’autorégulation
Pour quelles raisons l’appareil réglementaire a-t-il évolué en ce sens? Parce que même si les résultats peuvent paraître choquants ou décevants, le système fonctionne bien. Il ne s’ajustera pas automatiquement sur la base de l’insuffisance des résultats, parce que les résultats sont bons en fonction des objectifs poursuivis!
Le cadre réglementaire actuel n’a pas pour objectif de rendre le développement résidentiel facile, efficace ou productif. Il sert plutôt à protéger les acteurs du développement immobilier de la prise de risques ou de l’imprévisibilité inhérente à la création de milieux de vie. Ces protections favorisent un prescriptivisme réglementaire qui dessine les limites du possible plutôt que de permettre leur élargissement.
À dessein de protéger les parties prenantes, les règlements cherchent donc à contrôler la qualité des projets et le produit final résidentiel, créant un processus improductif, à la fois rigide et complexe. Ce n’est pas l'œuvre d’un seul acteur: entre le Code national du bâtiment, la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, la Loi sur les cités et les villes, et de multiples règlements et programmes municipaux, provinciaux et fédéraux, tout le monde est un peu responsable du parcours byzantin imposé au développement résidentiel.
Il faut comprendre que les premières victimes de l’explosion des coûts de réalisation sont les personnes qui achèteraient une unité neuve - des gens qui, en attendant de pouvoir rejoindre le voisinage, n’existent pas, électoralement parlant. Il y a donc très peu de pression sur les institutions politiques pour refonder le système en faveur du développement efficace et peu dispendieux, du moins jusqu’à ce que les prix de construction se retrouvent à faire augmenter tous les prix derrière eux. À cet effet, le système est incapable de rompre avec sa logique contrôlante: il produit les résultats escomptés pour les personnes qui en déterminent le succès.
Arbitrer, une machine à créer de l’opposition
Qui plus est, beaucoup de limites imposées par le cadre réglementaire sont artificielles, et leur nature arbitraire devient évidente quand elles sont mises en comparaison avec d’autres contextes. Un exemple emblématique est l’interdiction de construire au-delà de deux étages sans ajouter une deuxième sortie au Canada, soit la plus basse limite du monde entier. Même si ça peut avoir l’air d’un détail, cette obligation limite grandement l’évolution du cadre bâti, augmente la quantité de matériaux de construction nécessaire et influence la rentabilité des projets. Et ce n’est qu’un élément parmi des milliers!
Plusieurs limites que le cadre réglementaire impose au développement résidentiel constituent une invitation à l’arbitrage. Or, le simple fait de se poser des questions sous-entend que la proposition ne fait pas l’unanimité. En parallèle, le fait que le développement s'appuie souvent sur des dérogations du cadre normatif met en avant l'idée que la construction résidentielle va à l'encontre de l'état normal et naturel des choses.
Ce n’est pas une fatalité. Le même cadre qui sert à dire non peut être remanié pour dire oui, prévenant le pas-dans-ma-cour tout en respectant le droit de participation des citoyens. En outre, il pourrait obliger des ententes négociées entre les municipalités, les promoteurs et les représentants de la société civile pour les projets d’envergure, et établir des typologies permises de plein droit pour les autres projets. Si le cadre réglementaire permettait d’éviter le processus de remise en question, qui prend racine dans les très longs aller-retours à l’étape d’émissions des permis, non seulement les coûts de la construction diminueraient, mais les mises en chantier pourraient se multiplier. Il en résulterait plus de logements et leurs coûts de réalisation seraient plus modestes. Ces enjeux vont de pair avec les appels à plus d’investissements en habitation: ça prend plus d’argent, oui, mais il faut également mieux la dépenser.
Soutenir les innovations en matière de construction et la production locale des matériaux peut réduire les coûts
En marge des enjeux réglementaires, les sommes à débourser en matériaux et en main-d'œuvre sont énormes et nuisent à la productivité du secteur. En ce moment, la hausse des coûts, la pénurie de matériaux de construction et l’incertitude quant au moment où ils seront disponibles exacerbent la volatilité des prix et font grimper le coût des logements. Ces coûts essentiels contribuent évidemment au coût total de réalisation des projets. Il faut donc penser aux solutions pour réduire les coûts des matériaux dans l’enveloppe du bâtiment.
La hausse des coûts des matériaux de construction est souvent liée à la dépendance au marché mondial qui est fortement influencé par des enjeux politiques. Le Québec a la possibilité de développer l’industrie locale pour établir une chaîne d’approvisionnement autonome et performante - nous savons en outre que nous ne sommes pas à pleine capacité à cet égard parce que le retard dans la production du bois d'œuvre au Canada causé par la crise économique de 2008 n’a jamais été rattrapé! Dans ce contexte, le bois, si abondant sur le territoire du Québec, s’impose comme une alternative intéressante aux matériaux conventionnels comme l’acier et le béton. Un investissement public structurant pour soutenir la production domestique de matériaux peut favoriser la performance de l’industrie locale. D’autres pistes de solution doivent également être explorées afin de diminuer les coûts essentiels: les technologies de préfabrication, de démolition pour réutilisation, et de design modulaire, ainsi que les logiciels de gestion de chantier représentent toutes des opportunités de refonder le secteur pour en décupler la productivité.