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Il faut qu’on parle du télétravail

Par: Christian Savard
12 août 2020

bureau VenV

En tant que DG, en tant que jeune père, et en tant que passionné de la ville et de la façon dont les humains y vivent, le télétravail est évidemment un sujet qui m’interpelle. Depuis que la COVID nous a transformés en cobayes de cette nouvelle organisation de vie, je m’informe et me questionne beaucoup. Je vous lis, je vous entends et j’aurais mille choses à dire. 

Je vous lis, quand vous annoncez que le télétravail est la nouvelle norme et sera la solution à tous les problèmes – congestion, émissions de gaz à effet de serre, pollution, conciliation travail-famille, coûts immobiliers, etc. 

Je voudrais nous rappeler que le télétravail concerne, somme toute, une assez faible proportion des gens. Moi aussi, je vis dans une bulle où tout le monde télétravaille depuis des mois. Mais dans les faits, la moitié du Québec a continué de se rendre à son travail, et le confinement a privé une personne sur cinq de son emploi. Nous sommes donc peut-être 30% à pouvoir, si les circonstances l’exigent, faire notre travail à distance

Je vous entends, pour certains, répéter que vous n’avez jamais été aussi heureux que depuis que vous restez à la maison. 

C’est possible, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. La plupart des gens voudraient continuer de télétravailler, mais pas tout le temps, peut-être 2 ou 3 jours par semaine. Hop, on vient de faire baisser le potentiel du télétravail à 15%. Et comme plus de la moitié des déplacements ne concernent pas le travail, au final, adopter massivement le télétravail ne réduirait les déplacements que d’environ 5%. On est quand même loin d’une révolution. 

Cela dit, cette chronique ne vise pas à détourner du télétravail celles et ceux qui s’y plaisent. Je ne veux pas parler de choix individuels, mais de choix collectifs. Avant de mettre tous nos espoirs dans le télétravail, je crois que nous devons, collectivement, bien en cerner les enjeux pour concevoir des politiques publiques efficaces. 

Côté impacts collectifs, donc, pouvons-nous espérer limiter la congestion et réduire les émissions de gaz à effet de serre si nous éliminons 5% des déplacements? 

Pour la congestion, on assistera sans doute à un allègement temporaire, surtout à l’heure de pointe. La capacité libérée sur le réseau routier risque cependant d’être rapidement comblée, hélas, par ceux qui évitent actuellement le trafic. C’est le principe de la demande induite par une augmentation de capacité. 

Par contre, l’effet positif du télétravail sur le bilan carbone est loin d’être garanti. Quand tout le monde n’est pas confiné, les gens qui travaillent depuis chez eux semblent avoir tendance à se déplacer davantage pour d’autres motifs. Mais le risque du télétravail est surtout ailleurs, et nous avons commencé à le voir s’exprimer: libérés de la nécessité d’aller au bureau tous les jours, certains télétravailleurs vont s’installer plus loin, voire beaucoup plus loin. Rouleront-ils, à l’année, moins de kilomètres que dans leur vie passée? J’en doute, et mon inquiétude s’appuie sur les résultats d’études sérieuses

Bref, le télétravail réduit les déplacements… à certains moments, mais il pourrait aussi les augmenter, et il est la porte ouverte vers l’étalement urbain – on parle de télé-étalement. Vous comprendrez que pour un spécialiste du développement urbain durable, c’est plutôt préoccupant. 

C’est aussi en tant que directeur à la tête d’une équipe de 30 personnes que le télétravail m’intrigue. Comment ça va, la synergie, de votre côté? 

Il paraît que certaines personnes sont plus efficaces en télétravail, parce que moins stressées et moins dérangées. Mais d’après les experts, d’une manière générale, ce qui a rendu relativement “fluide” notre télétravail printanier, c’est que nous n’en faisons pas d’habitude! Nous connaissons vraiment les humains avec qui nous collaborons, et ça simplifie beaucoup les échanges professionnels. Cet effet va s’estomper avec le temps. Nous risquons alors de trouver le télétravail beaucoup plus ardu. Moi, ça commence à me peser de n’avoir jamais rencontré en vrai les petits nouveaux de notre équipe. 

Je dois admettre que cette réflexion sur le télétravail me fait avant tout mesurer ma chance, et les bénéfices de mes choix. Mes déplacements habituels sont agréables, que ce soit à vélo ou en bus, et plutôt courts. Les bureaux de Vivre en Ville sont idéalement situés, proches de nombreux partenaires et d’une diversité de services qui en font un deuxième milieu de vie pour notre équipe. Surtout, j’ai un milieu de travail stimulant, où la machine à café est un haut lieu de développement partenarial et de discussion intense. Je n’y renoncerai pas facilement, même si le télétravail reste une mesure occasionnelle de conciliation travail-vie personnelle fort appréciable. 

À propos de privilège, je nous invite à garder à l’esprit que le télétravail est justement essentiellement une affaire de privilégiés. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les statistiques qui le montrent. Plus le niveau d’étude et le salaire sont élevés, plus on peut pratiquer le télétravail. Les emplois pénibles, au salaire minimum, qui offrent peu d’autonomie de décision, sont rarement propices au télétravail, qui est plutôt le fait des métiers de création, de communication, de recherche. 

Malgré ces réserves, le télétravail présente un potentiel réellement intéressant, et des bénéfices personnels et collectifs qu’il nous faut travailler à maximiser. Mais pour éviter qu’il amplifie des tendances négatives en matière de développement urbain, nous devons aussi travailler à renforcer toutes les actions nécessaires pour construire des villes durables: contrôle de l’étalement urbain, investissement dans les transports collectifs, localisation optimale des emplois, etc. 

Pour moi et pour beaucoup de ceux qui travaillent sur les questions d’aménagement et de développement durable, le télétravail, c’est un peu la nouvelle auto électrique: un nouveau mirage qui détourne les décideurs des actions plus profondes et  structurantes. 

Car une chose est sûre: que nous l’apprécions ou que nous le détestions, le télétravail n’a tout simplement pas le potentiel de sauver la planète. 

Pour lutter contre les changements climatiques, pour optimiser les infrastructures, pour améliorer la santé et la qualité de vie, les réflexions que nous portions avant la pandémie n’ont rien perdu de leur pertinence. Ne nous laissons pas distraire de l’ampleur des enjeux sous prétexte que nous avons installé le wifi au chalet. 

Prenez soin de vous et des vôtres, et j’espère que nous aurons bientôt l’occasion d’en discuter de vive voix !

 

Image: pch.vector

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