À la mi-janvier, il est encore temps de se souhaiter une bonne année et, en 2021, cela revêt un sens tout particulier. Souhaitons-nous, alors, la solidarité et le sens du collectif qui nous permettront de relever les défis – autant ceux liés à la pandémie que tous les autres, qui ne sont malheureusement pas en train de disparaître pendant que nous pensons à autre chose!
Justement, prenons une pause de la COVID pour (re)parler d’un sujet qui ne prend pas de vacances: les changements climatiques.
Alors que le Québec tombait en confinement des Fêtes, dans les derniers jours de décembre, le Québec a publié son plus récent inventaire d’émissions de gaz à effet de serre. Il n’est pas réjouissant. Entre 1990, année de référence, et 2018, dernier comptage disponible, nous avons réduit nos émissions d’à peine 6%, alors que notre cible pour 2020 était une baisse de 20%.
Le détail de cet inventaire n’est pas très différent des précédents. Comme d’habitude, on y observe que c’est le transport qui plombe le bilan carbone du Québec. Alors que la plupart des secteurs – industrie, bâtiment, matières résiduelles – présentent une réduction de leurs émissions, celles des transports ont augmenté de 9 millions de tonnes (+33%). Le transport compte maintenant pour presque 45% du total des émissions.
Avez-vous, comme nous, le sentiment décourageant de faire du surplace? Cet échec était-il inéluctable?
Cela fait plus de 12 ans que nous sommes en poste à Vivre en Ville. Nous commençons ainsi à avoir un certain bagage d’expérience et de mémoire des faits. Permettons-nous, aujourd’hui, de nous ramener 10 ans en arrière.
Il y a 10 ans, Vivre en Ville publiait, en collaboration avec Équiterre, « Changer de direction: pour un Québec libéré du pétrole en 2030 ». Nous proposions alors un chantier visant à réduire de 60% la consommation d’énergie fossile du transport des personnes, grâce à une combinaison de mesures articulées autour de l’approche Réduire–Transférer–Améliorer, maintenant bien connue en mobilité durable.
Aujourd’hui, soyons francs, cela fait mal de relire ce document de 2011. On y constate à la fois que la feuille de route était claire et cohérente; que malgré une certaine écoute et de bonnes intentions des décideurs, elle n’a presque pas été suivie; et que l’évolution a finalement été celle que nous redoutions.
En 2011, sur la base des données et des tendances observées jusque-là, nous estimions que le cours normal des affaires mènerait à une légère augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans le transport des personnes. Pour « changer de direction », nous proposions des mesures concourant à deux objectifs: réduire le kilométrage parcouru de 20% (notamment en augmentant la part modale des transports collectifs et actifs) et améliorer l’efficacité énergétique des véhicules de 50%.
Aujourd’hui, où en sommes-nous?
En aménagement du territoire, il ne s’est encore presque rien passé à l’échelle du Québec. Ni la loi sur l’aménagement et l’urbanisme, ni les orientations gouvernementales en aménagement, ni la fiscalité municipale n’ont été révisées en profondeur. Les incitatifs financiers, par exemple pour construire des quartiers sobres en carbone, ont été quasi inexistants.
Résultat: l’an passé encore, la Communauté métropolitaine de Montréal s’alarmait de l’étalement urbain à l’œuvre à son pourtour. En 10 ans, le parc de véhicules privés a augmenté de 15% pendant que la population augmentait de 8%. Et chaque inventaire d’émissions constate que l’augmentation du kilométrage parcouru contribue à alourdir le bilan.
Du côté de l’offre de transport collectif, en revanche, les choses ont commencé à bouger. Suivant la demande populaire, les gouvernements se veulent désormais plus ambitieux en la matière. Le REM, comme nous étions plusieurs à l’espérer, a contribué à hausser les attentes. La mise en œuvre des grands projets attendus à Montréal, Québec, Gatineau et ailleurs sera un rattrapage bienvenu. Ces réinvestissements sont toutefois trop récents pour avoir eu des résultats; ce sera à suivre dans les prochains bilans.
L’amélioration de l’efficacité énergétique des véhicules, comme nous le redoutions, a été plombée par l’effarante augmentation de la part des camions légers. En 2009, 29% des Québécois roulaient dans des VUS ou des fourgonnettes; en 2019, selon la SAAQ, ils étaient 43% (ce qui est bien pire que la tendance anticipée: sans action contraire, nous pensions atteindre cette part seulement en 2030!).
En électrification, les subventions colossales consenties par les gouvernements (près d’un milliard $) ont presque permis l’atteinte de la cible de 100 000 véhicules électriques immatriculés. Cela ne permet toutefois pas de compenser l’augmentation globale du parc et de la dépendance à l’automobile, et l’effet sur le bilan carbone reste pour le moment négligeable.
Il y a 10 ans, nous avons lancé des signaux précis, détaillés et assortis de propositions constructives et même chiffrées. Force est de constater qu’elles n’ont pas été suffisamment écoutées! Nous proposions un bonus-malus pour dissuader l’achat de véhicules énergivores, une taxe sur les stationnements commerciaux, la transformation d’autoroutes urbaines en boulevards, une tarification sociale pour le transport collectif, une meilleure offre de transport collectif interurbain, une politique d’habitation révisée, une localisation écoresponsable pour les édifices publics; en tout 40 actions dont la plupart demeurent terriblement pertinentes.
Le résultat de cette inaction est malheureusement celui que nous avions prévu. Cela a des conséquences sur notre bilan carbone, mais aussi sur notre santé, notre budget, nos écosystèmes, notre qualité de vie.
Il y a aussi des enjeux qui deviennent de plus en plus incontournables, comme la décarbonisation du transport des marchandises, que l’Institut Pembina qualifie de « prochaine frontière pour l’action climatique », à l’ère du commerce en ligne.
Dans tous les cas, il n’est pas trop tard pour changer de direction. Le Québec s’apprête d’ailleurs à entrer dans une grande conversation nationale sur l’aménagement du territoire qui sera l’occasion de décider, ensemble, ce que nous voulons devenir.
Mettre l’aménagement, les transports collectifs et actifs et l’écofiscalité au cœur de la stratégie climatique, c’est s’assurer de retombées positives concrètes dans nos milieux de vie. C’est le défi que nous voulons lancer, en ce début d’année!